Abeille sauvage européenne Anthophora plumipes © Pancrat — Travail personnel, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=14861414

Les abeilles sauvages, essentielles et pourtant mal connues

14 octobre 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

A l’heure du déclin de la biodiversité mondiale, que savons-nous réellement — et surtout que nous reste-t-il à découvrir — sur les abeilles sauvages, ces pollinisatrices essentielles ? C’est la question au cœur du postdoctorat de Nicolas Leclercq, mené au sein de l’Agroecology Lab de l’ULB, dans l’équipe du Pr Nicolas Vereecken. À partir des données existantes, l’objectif est d’identifier et de cartographier les importantes lacunes dans nos connaissances écologiques et évolutives sur les abeilles sauvages. Dans l’optique de créer un modèle mondial permettant d’orienter efficacement les priorités en matière de conservation et les programmes de recherche, ce travail sera réalisé à l’échelle de chaque pays. Financé par le FNRS, le projet vient tout juste de démarrer et s’étendra sur trois ans.

1001 abeilles sauvages

A la différence d’Apis mellifera, l’abeille domestique, les abeilles sauvages n’ont pas été domestiquées par l’humain. Il y en aurait 20 000 espèces de par le monde, dont plus de 2 000 en Europe et un peu plus de 400 en Belgique.

Ces insectes se caractérisent par une large biodiversité fonctionnelle. Leur couleur et leur forme sont variables, tandis que leur taille peut aller de quelques millimètres à plusieurs centimètres. Elles diffèrent également par leur phénologie, et apparaissent à des moments distincts de l’année. Si la majorité creuse un nid dans le sol, d’autres utilisent des cavités ou des habitats déjà existants. Certaines adoptent même des comportements très spécifiques, comme la découpe de feuilles afin de construire leur nid.

Il existe des espèces sociales, organisées selon un système de castes comparable à celui de l’abeille domestique, avec une reine et différentes classes d’individus. À l’inverse, d’autres espèces sont totalement solitaires : la femelle, une fois fécondée au début de sa vie, adopte un mode de vie indépendant. Elle consacre alors sa courte existence à récolter des ressources pour nourrir ses larves, sans l’aide d’une colonie.

On observe également un large gradient de spécialisation dans le choix des plantes dont elles se nourrissent : certaines espèces d’abeilles sont très généralistes et visitent une grande variété de familles végétales, tandis que d’autres sont, au contraire, extrêmement spécialisées et dépendent parfois d’un seul genre de plante. Inutile de dire que ces dernières sont très vulnérables et les plus menacées d’extinction.

« Une fois ces informations – quantitatives ou qualitatives- rassemblées pour chaque espèce d’abeille sauvage, il devient possible d’évaluer la diversité fonctionnelle d’un site donné. Plus cette diversité est élevée — grâce à la présence d’espèces aux traits fonctionnels variés — plus elle favorise une pollinisation optimale. »

La réalité loin de la théorie

Cela, c’est la situation idéale. En réalité, on manque furieusement de données. Même en Europe. C’est ce qu’a montré une étude récente menée par Dr Nicolas Leclerq, et qui est à la base de ce projet.

« À l’aide d’un ensemble unique de données numériques sur la présence et l’écologie des abeilles sauvages, nous avons identifié différentes lacunes critiques concernant les connaissances sur l’identité des espèces, leur répartition géographique, leur niche écologique, la variation de leurs traits fonctionnels, la dynamique de leurs populations, leurs relations évolutives, leurs interactions avec les plantes et d’autres espèces animales ainsi que leur tolérance aux conditions abiotiques. »

Dichotomie nord-sud

De façon théorique, il était connu que le sud de l’Europe, et plus particulièrement la zone méditerranéenne, associée aux climats chauds et secs, constituait un véritable hotspot mondial de diversité des abeilles sauvages. « Cette hypothèse, nous l’avons confirmée grâce à des modèles réalisés à partir de données existantes. En comparant les résultats du modèle de diversité permettant de prédire le nombre d’espèces d’abeilles sauvages par zone avec le nombre d’espèces observées sur le terrain, il nous a, en sus, été possible d’identifier les régions bien échantillonnées et celles qui le sont beaucoup moins. Résultats ? Si le sud de l’Europe est une zone extrêmement riche en espèces d’abeilles sauvages, c’est également là que l’on observe le plus grand nombre d’espèces pour lesquelles il manque des connaissances. L’Espagne, l’Italie ou encore la Grèce en sont de bons exemples. »

Bien que les modèles les prédisent comme moins diversifiés que ces trois pays, les Balkans, et les pays d’Europe de l’Est, souffrent aussi d’un important déficit de connaissances – au contraire des régions de l’Europe du Nord et de l’Ouest qui bénéficient d’une meilleure couverture historique -.

Ces lacunes sont encore davantage prononcées dans les régions sous-explorées comme l’Asie, où des milliers d’espèces d’abeilles sauvages demeurent non décrites ou non répertoriées.

« Ces lacunes sont exacerbées par des biais dans la collecte de données, tels que l’accent mis historiquement sur les espèces plus grandes et plus charismatiques, ainsi que sur les régions disposant d’une infrastructure scientifique plus importante. De plus, la recherche sur les insectes, bien qu’essentielle, souffre d’un déficit chronique de financements et de soutien.»

Haut depage