Représentation d'un félin aux dents de sabre © Laetitia Theunis

Les félins à dents de sabre, stars de la Préhistoire

15 janvier 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

C’était un coureur de steppe. Un sprinter muni de griffes non-entièrement rétractiles pour éviter les glissades lors des changements brusques de direction. Un carnivore musculeux, lourd de 200 kg et long de 2 m, aux canines proéminentes. Le félin aux dents de sabre se délectait d’herbivores de taille moyenne, mais aussi de grands animaux rassemblés en troupeaux : jeunes mammouths, chevaux, bovins. Dès 5 millions d’années, il vivait et chassait en Eurasie. Jusqu’en août, le Préhistosite de Ramioul dédie une exposition à cet animal mythique.

Représentation d’un Homotherium, avec deux petits félins à dents de sabre © Laetitia Theunis

Retour aux sources

La pièce maîtresse de l’exposition, une dent crénelée longue de 4 cm, fonctionnant comme un couteau à steak, a été découverte en 2012 à Schöningen, à quelque 500 km de Ramioul.

« Sa forme en pointe indique un prédateur, tandis que sa taille imposante évoque un mammifère de grande de taille. C’est finalement grâce à une publication de 1901 de Marcellin Boule (paléontologue, paléoanthropologue et géologue français, NDLR) , comportant des gravures de dents, que les archéologues ont pu identifier l’espèce : Homotherium latidens, un félin à dents de sabre européen », explique Jennifer Kedzia, muséographe et scénographe au Préhistosite de Ramioul.

Les félins à dents de sabre avaient des dents crénelées, fonctionnant comme un couteau à steak © Laetitia Theunis

Proie ou prédateur ?

Par la suite, d’autres dents et ossements de cette espèce de félidé ont été mis au jour sur le site de fouille allemand. Les archéologues estiment y avoir découvert au moins deux individus de Homotherium latiden.

L’un des os porte des traces laissant supposer un traitement humain. Dans ce cas-ci, le félin aurait été la proie des hominidés de l’époque, Homo heidelbergensis. Mais la relation proie-prédateur n’est pas figée.

En effet, d’autres vestiges révèlent que l’homme était une proie des félins. C’est le cas d’une calotte crânienne de néandertalien, vieille de 60.000 ans, retrouvée dans la grotte de Cova Negra, en Espagne et percée de deux gros trous. Ce sont les traces de morsures par les canines d’un grand félin.

Calotte crânienne d’Homme de Néandertal percée de deux trous, réalisés par les canines d’un félin préhistorique© Laetitia Theunis

Extinction de tous les félins à dents de sabre

Ne dites pas « tigre à dents de sabre », mais « félin à dents de sabre ». « En effet, les 5 familles de félins à dents de sabre que notre planète a connues font partie d’un embranchement phylogénique différent de celui des félins actuels. »

Les premières traces de félins à dents de sabre (Homotherium et Dinofelis), remontent à 5 millions d’années en Afrique. Les premiers australopithèques ont croisé leur route. Si, sur ce continent, ces prédateurs se sont éteints il y a environ 1 million d’années, ils sont restés plus longtemps en Amérique et en Eurasie.

« Les Homotherium s’y seraient définitivement éteints il y a 12.000 ans. Cela correspond au début de l’ère interglaciaire, dans laquelle nous sommes encore aujourd’hui. On soupçonne le changement climatique d’avoir contribué à la disparition des félins à dents de sabre », poursuit la muséologue. « L’Homme d’alors pourrait aussi avoir joué un rôle, ainsi que la compétition entre espèces pour de mêmes ressources. »

Ainsi, au coeur de strates datées à 400.000 ans du site de fouille espagnol d’Atapuerca, les vestiges de lion augmentent fortement alors que ceux d’Homotherium diminuent drastiquement.

Squelette d’Homotherium. L’animal préhistorique avait la taille du lion actuel © Laetitia Theunis

Des félins préhistoriques en Belgique

Les premiers vestiges d’Homotherium auraient au moins 5 millions d’années. Celui de Schöningen aurait vécu il y a 300.000 ans. « Un autre vestige, une mâchoire découverte en mer du Nord, à 100 km de notre rivage, sur le site de Brown Bank, a été daté à 28.000 ans. Mais cette datation est soumise à controverse », précise la muséographe.

Pourquoi? « La technique de datation semble bien réalisée. Par contre, nous ne disposons d’aucun indice supplémentaire corroborant la présence d’un félin à dents de sabre en Europe à une époque aussi récente. Notamment dans l’art. En effet, alors que les chasseurs du Paléolithique supérieur ont représenté leur environnement de manière très détaillée sur les murs des grottes ou via des sculptures, ils n’ont jamais esquissé un félin aux dents de sabre. Peut-être l’eau de mer a-t-elle influencé la datation C14 ? Ou peut-être y a-t-il eu des incursions de l’Homotherium des Amériques en Eurasie durant de courtes périodes? Le mystère reste entier », explique Dr Kurt Felix Hillgrube, le commissaire de l’exposition.

Mâchoire d’Homotherium découverte en mer du Nord, sur le site de Brown Bank. Elle serait la trace la plus récente de ce félin en Europe. Mais sa datation, estimée à 28.000 ans, est sujette à controverse © Laetitia Theunis

Des vestiges d’Homotherium ont été retrouvés en France, en Allemagne, en Angleterre. Mais aucun en Belgique. « Cela ne veut pas dire qu’il ne parcourait pas nos régions durant la Préhistoire », précise Jennifer Kedzia.

D’autres grands félins avaient, en effet, élu résidence chez nous. C’est ce que révèlent les fouilles menées dans diverses grottes telles que Scladina (Andenne), la Belle-Roche (Sprimont), Goyet (Gesves) et Ramioul. Lions des cavernes (des vestiges datant de plus 130.000 ans ont été retrouvés), lynx (36.000 – 38.000 ans) ou encore panthères (120.000 – 130.000 ans) faisaient partie de la faune entourant les chasseurs paléolithiques de nos régions.

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