Métastase © National Cancer Institute

Métastases: l’immense pouvoir de l’aspartate

15 janvier 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Le poumon est un site préférentiel pour les métastases. Une équipe internationale, coordonnée par la KUL et comptant des scientifiques de l’ULiège, y a décelé une accumulation d’aspartate. Elle démontre le rôle joué par cet acide aminé dans l’attraction des cellules cancéreuses vers cet organe et dans l’amplification de leur agressivité.

Le système immunitaire du poumon reprogrammé par la tumeur primaire

Parmi les cancers métastatiques, 54 % se développent dans le poumon. « Il y a plusieurs raisons à cette préférence. Le poumon est un environnement particulier, riche en nutriments bien utiles pour la biologie et la survie des cellules cancéreuses. Il est très exposé à l’oxygène (O2), et c’est en son sein que se concentre la circulation sanguine  », explique le Pr Pierre Close, directeur du Laboratory of Cancer Signaling du GIGA (ULiège). Si les cellules du cancer primaire souffrent d’un manque d’oxygène, elles migreront plus facilement que d’autres dans le poumon et y formeront des métastases.

« Selon la littérature scientifique, la tumeur primaire envoie des signaux moléculaires dans le sang (des cytokines) pour reprogrammer les cellules immunitaires pulmonaires. Et ainsi rendre le poumon particulièrement accueillant pour les métastases… Et ce, avant qu’elles ne soient là », explique Pr Close.

Traduction de l’ARN et adaptation des cellules cancéreuses

Avant d’aller plus loin, il est important de comprendre ce qui entoure la traduction des ARN messagers.

« La traduction, c’est l’étape qui transforme l’ARN (une copie de l’ADN), en protéines. Ce processus cellulaire fondamental est très fortement régulé. En particulier dans les cellules cancéreuses, lesquelles exploitent la traduction pour pouvoir acquérir de nouvelles fonctions. Par exemple, la résistance thérapeutique ou la production de métastases. »

« C’est la traduction qui permet aux cellules cancéreuses de s’adapter très vite aux nombreux stress qu’elles subissent. De passer entre les mailles du filet et d’être sélectionnées car davantage métastatiques, davantage résistantes, etc. La traduction est un processus crucial dans l’acquisition des fonctions cellulaires procancer », poursuit le Pr Close.

Ces concepts n’étaient pas connus il y a une quinzaine d’années. Mais désormais, la communauté scientifique mondiale étudie de plus en plus la traduction de l’ARNm. Et lève le voile sur le lien entre traduction et adaptation de cellules cancéreuses.

Accumulation d’aspartate

Pre Sarah-Maria Fendt, directrice du Center for Cancer Biology de la VIB-KULeuven, est une figure mondiale dans le domaine des métabolites cellulaires. Avec l’aide de son équipe, elle a observé de fortes concentrations d’aspartate dans le poumon de patientes souffrant d’un cancer du sein métastatique pulmonaire. Mais aussi au sein du poumon avant l’installation des métastases. Il en a été de même dans le poumon de souris, rendues porteuses d’une tumeur primaire identique.

La présence concentrée d’aspartate n’était pas un hasard. L’aspartate est un acide aminé qui est essentiel au bon fonctionnement de notre organisme. Il participe, entre autres, à la production du glucose et à la stabilisation de son taux dans le sang, contribue à la fabrication de l’énergie pour les muscles, active des récepteurs permettant la bonne transmission des informations à l’intérieur de l’organisme, contribue à l’évacuation des déchets du corps, etc.

Cet acide aminé attire aussi les cellules cancéreuses métastatiques, les rend plus agressives et leur permet de s’établir dans le poumon de manière permanente. « Reconnu par un récepteur (dénommé NMDA) de la cellule cancéreuse, l’aspartate induit une cascade de réactions faisant intervenir la traduction. Via cette traduction, la cellule cancéreuse devient capable de sécréter du collagène ou d’autres molécules importantes pour la nidification des cellules cancéreuses métastatiques », explique Pr Close, qui est intervenu dans l’étude en tant qu’expert de la traduction des ARN messagers.

L’aspartate régule la traduction par l’intermédiaire de l’hypusination

Rentrons dans les détails. « De nombreuses protéines peuvent influencer le processus de traduction, notamment les facteurs d’initiation. L’un d’eux se dénomme eIF5A : c’est lui qui donne le coup d’envoi de la traduction. » Dans les métastases pulmonaires, les chercheurs ont découvert une modification activatrice de l’eIF5A appelée « hypusination », associée à une plus grande agressivité cancéreuse.

« Cette modification de l’eIF5A est déclenchée par l’aspartate. Il active une protéine de surface cellulaire (récepteur NMDA) des cellules cancéreuses, entraînant une cascade de signalisation qui, finalement, provoque l’hypusination de l’eIF5A. Cette dernière entraîne ensuite un programme de traduction qui renforce la capacité des cellules cancéreuses à modifier leur environnement et à le rendre davantage propice à leur croissance agressive. »

« Une des perspectives importantes de cette recherche dirigée par la KUL, est de parvenir à retarder la formation de métastases voire à l’empêcher en modulant l’activité du récepteur à l’aspartate. Si cette étude porte sur le cancer du sein métastatique, il y a toutes les raisons de penser que cela peut s’appliquer à d’autres cancers », conclut Pr Close. L’espoir est permis.

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