En province de Liège, la station géophysique de Membach vient de fêter ses 40 ans de mesures sismiques. Bien entendu, la surveillance des tremblements de Terre dans notre pays dure depuis bien plus longtemps. Elle remonte à 1899 et la construction de la première station à Uccle. Aujourd’hui, le réseau totalise une trentaine de stations sismiques. Rencontre avec le « Monsieur sismologie » de l’Observatoire Royal de Belgique: le Dr Michel Van camp
Pourquoi la Belgique tremble ?
Si notre pays n’est pas situé sur une faille primaire, une zone où se rencontrent et se frottent deux plaques tectoniques, son sol n’en est pas pour autant très calme.
L’activité sismique belge est « modérée mais non négligeable », explique-t-on à l’Observatoire Royal de Belgique. « On estime d’ailleurs qu’un séisme national “destructeur” (de magnitude 6 ou plus) se déclenche tous les 300 ans, en moyenne. Au niveau local, les tremblements de Terre qui créent des dégâts arrivent généralement tous les 30 ans. Le dernier étant celui de Liège en 1983 (magnitude 4,6).
Pourquoi cette bougeotte tectonique ? Car des failles primaires découle toute une série de failles secondaires. À côté de l’activité sismique “interplaque”, il en existe aussi une dite “intraplaque”.
La théorie du « camembert »
“La Belgique est située sur une plaque (la plaque eurasienne) prise en sandwich, pressée par les plaques environnantes, explique le Dr Michel Van Camp, chef de service Séismologie-Gravimétrie de l’Observatoire Royal de Belgique. Mais d’autres facteurs peuvent expliquer les séismes dans notre pays. Il faut considérer la croûte terrestre comme une entité dynamique, qui réagit aux stress qu’on lui fait subir. Un peu comme la pub pour les pare-brise: un petit impact peut devenir soudainement une grosse fissure à cause d’un choc.”
“Une masse d’eau ou des modifications de la roche peuvent fatiguer la croûte, qui va se relâcher et trembler. Les variations de densité ont aussi un rôle. Une zone à forts contrastes de densité est une zone potentielle de tremblement de terre. Un peu comme un camembert bien coulant va pousser sur sa croûte.”
Nous sommes tous des sismographes
Pour pouvoir situer précisément un tremblement de Terre, il faudrait un sismographe tous les 100 mètres, ce qui n’est pas le cas. Alors, rien de tel que de demander aux gens comment ils ont perçu un séisme. ” Grâce à notre enquête ‘Did you feel it’, nous pouvons savoir précisément comment est perçu un séisme à un niveau très local. Et attention, les réponses négatives sont aussi importantes !” précise le sismologue.
Ce questionnaire, disponible sur internet, permet à chaque personne qui a ressenti (ou non…) un tremblement de Terre de partager son expérience. C’est une sorte d’échelle de Mercalli améliorée.
L’échelle de Mercalli permet d’évaluer l’intensité d’un tremblement de terre en fonction des dégâts observés, alors que l’échelle de Richter évalue la magnitude en fonction de l’énergie dégagée par le foyer du séisme. Mercalli peut donner une indication de la magnitude approximative. “Les cloches qui sonnent et les pendules qui s’arrêtent sont typiques d’une intensité 7” indique le Dr Van Camp.
“Les bâtiments réagissent différemment aux séismes selon leur hauteur. Une structure haute va se mettre à trembler si les vibrations sont lentes et inversement, une structure basse bougera si les vibrations sont rapides. La manière dont ‘réagit’ l’environnement nous donne de nombreuses informations sur le séisme. »
Se tourner vers le passé pour comprendre le futur
Un sismologue ne se base pas que sur ses appareils de mesure pour comprendre un séisme, loin de là. “Les enquêtes de terrain sont très importantes, ajoute Michel Van Camp. Par exemple, des archives françaises nous ont renseignés sur le tremblement de terre de 1692 (magnitude 6,4), grâce au passage de Louis XIV dans nos régions. L’inspection des bâtiments d’époque, l’archéosismologie et l’étude du sol, la paléoarchéologie, nous permettent d’en savoir plus sur les anciens tremblements de terre et nous éclairent sur les nouveaux. »
Pour comprendre de futurs tremblements de terre, la connaissance de la géologie des sols est primordiale. Car selon sa nature, les roches et sédiments qui composent un sol, les ondes seront étouffées en certains endroits et amplifiés dans d’autres, “comme l’écho dans un tunnel”.
“La Belgique a une structure géologique particulière, développe le chercheur de l’Observatoire Royal de Belgique. En raison d’une épaisse couche de sédiments, la Flandre est moins exposées aux vibrations à haute fréquence, ce qui explique que les petits séismes y sont moins ressentis que dans le sud du pays. Par contre, les vibrations seront amplifiées dans le bassin de Mons, ou par le socle du Brabant qui va répartir les ondes sur un territoire en forme de banane parallèle au sillon Sambre et Meuse.”
La carte macrosismique du tremblement de Terre de Goch (Allemagne) en 2011 montre clairement cette répartition des ondes sismiques.
60 secondes qui changeront le monde
La séismologie est donc une science pluridisciplinaire, où de nombreuses collaborations internationales avec des volcanologues, des climatologues, des océanologues ou encore des hydrologues sont nécessaires pour comprendre un tremblement de terre.
« À la grotte de Lorette, à Rochefort, des collègues étudient l’effet des nappes aquifères, de la rivière, des précipitations et des infiltrations d’eau dans la roche sur la variation de la pesanteur, c’est-à-dire la densité du sol” relate le Dr Van Camp.
« À notre époque, il y a un aspect des séismes qui n’est pas assez étudié : l’impact économique, avertit-il. Jamais auparavant la Terre n’a abrité autant de mégapoles, de grands centres économiques, de lieux où sont concentrés des microcosmes économiques. Un séisme puissant dans des villes économiques clefs sera dévastateur pour l’économie mondiale. Tokyo, centre financier majeur, est sous la menace d’un séisme puissant. Peter Hadfield prédit, dans son livre qu’en plus de la tragédie humaine, un séisme à Tokyo sera aussi “60 secondes qui changeront le monde”.