Silhouette en forme de cœur repérée par Mars Express de l'ESA près du pôle Sud de Mars. La forme du cœur est délimitée par des pentes abruptes et contient une étendue sombre de dunes. Ce matériau plus sombre est largement répandu sur la planète par les vents martiens © ESA/DLR/FU Berlin

Mariage du sel et de l’eau sur Mars

15 février 2021
par Daily Science
Temps de lecture : 6 minutes

Du chlorure d’hydrogène, un gaz jusqu’alors non identifié sur Mars, vient d’être détecté par le satellite ExoMars Trace Gas Orbiter (TGO) de l’ESA-Roscosmos. Cette première détection d’un gaz halogène implique un nouveau cycle chimique à comprendre.

Fausse piste

Le chlorure d’hydrogène gazeux, ou HCl, comprend un atome d’hydrogène et un atome de chlore.

« Les scientifiques ont toujours été à la recherche de gaz à base de chlore ou de soufre sur Mars, car ces composés sont des indicateurs possibles de l’activité volcanique. Mais, le fait que le chlorure d’hydrogène ait été détecté dans des endroits très éloignés en même temps et au vu de l’absence d’autres gaz attendus lors d’activités volcaniques, tout cela indique une source différente. La découverte suggère, en effet, une interaction surface-atmosphère entièrement nouvelle, due aux saisons de poussières sur Mars », expliquent les scientifiques de l’IASB (Institut royal d’Aéronomie Spatiale de Belgique), qui ont participé à cette étude internationale.

Des vents de poussières

Selon un processus très similaire à celui observé sur Terre, les sels sous forme de chlorure de sodium (NaCl) (qui sont des vestiges des océans évaporés et emprisonnés dans la surface poussiéreuse de Mars) sont soulevés dans l’atmosphère par les vents.

Le soleil réchauffe l’atmosphère, induisant un mouvement ascendant des poussières salées (NaCl) et de la vapeur d’eau (H2O) libérée par les calottes glaciaires. Ces deux composés entrent en interaction : le chlore (Cl) de l’un s’associe à l’hydrogène (H) de l’autre. En résulte du chlorure d’hydrogène (HCl).

« D’autres réactions pourraient faire redescendre à la surface les poussières riches en chlore ou en acide chlorhydrique, peut-être sous forme de perchlorates, une classe de sel composée d’oxygène et de chlore », précisent les scientifiques.

L’eau semble être un élément critique dans cette chimie : il faut de la vapeur d’eau pour l’hydrogène, mais aussi pour que la réaction chimique de dissociation du chlore et du sodium se fasse. « Mais la poussière martienne joue également un rôle important : on observe davantage de chlorure d’hydrogène lorsque les mouvements de la poussière s’intensifient, un processus lié au réchauffement saisonnier de l’hémisphère sud. »

Ce graphique décrit un nouveau cycle chimique possible sur Mars suite à la découverte de chlorure d’hydrogène dans l’atmosphère par l’orbiteur ExoMars Trace Gas Orbiter de l’ESA-Roscosmos. Les sels sous forme de chlorure de sodium (NaCl) – vestiges des océans évaporés et emprisonnés dans la surface poussiéreuse de Mars – sont très répandus à la surface de Mars. Les vents transportent ces poussières salées dans l’atmosphère. La lumière du soleil réchauffe l’atmosphère poussiéreuse, ce qui fait monter la vapeur d’eau libérée par les calottes glaciaires. La poussière salée réagit avec l’eau atmosphérique pour libérer du chlore (Cl), qui lui-même réagit avec les molécules contenant de l’hydrogène (H) pour créer du chlorure d’hydrogène (HCl). Un processus similaire a lieu sur Terre : le sel marin est soufflé dans l’air, et s’il se mélange à la vapeur d’eau, le chlore devient disponible pour les réactions chimiques qui forment le HCl.
D’autres réactions pourraient voir le chlore ou la poussière riche en chlorure d’hydrogène revenir à la surface de Mars, peut-être sous forme de perchlorates, une classe de sel composée d’oxygène et de chlore. On observe que le HCl apparaît et disparaît rapidement de l’atmosphère, il doit donc être créé et détruit rapidement, une certaine fraction retournant à la surface.
Les observations d’ExoMars suggèrent qu’il pourrait s’agir d’un processus annuel déterminé par le changement des saisons, en particulier le réchauffement de la calotte glaciaire de l’hémisphère sud pendant l’été austral, qui libère de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. La chaleur supplémentaire génère également des vents forts lorsque l’air se déplace des régions chaudes vers les régions froides. À leur tour, les vents soulèvent plus de poussière, ce qui déclenche des tempêtes de poussière régionales et mondiales.
Le graphique est simplifié pour montrer très largement une des voies possibles de génération du chlorure d’hydrogène ; il y a probablement d’autres voies pour les réactions chimiques qui pourraient également être en jeu, peut-être avec d’autres gaz à l’état de traces qu’ExoMars n’a pas encore découverts © ESA

L’été, un rouage majeur

L’équipe a repéré ce gaz pour la première fois lors de la tempête de poussières globale de 2018. Elle a ensuite constaté sa disparition étonnamment rapide à la fin de la période saisonnière de poussières (qui correspond à l’été dans l’hémisphère sud). Au cours de la saison des poussières suivante, des observations ont indiqué que la teneur en HCl augmentait à nouveau.

Le changement des saisons sur Mars, et en particulier l’été relativement chaud dans l’hémisphère sud, semble être le moteur de l’activité de la poussière liée à la détection du chlorure d’hydrogène.

«Pour l’instant, les observations menées avec NOMAD indiquent des quantités mesurables de HCl uniquement dans l’hémisphère sud en été. La question de comprendre pourquoi on n’observe pas le même phénomène en été dans l’hémisphère nord est encore ouverte », précise Dre Ann Carine Vandaele, responsable de l’instrument NOMAD, et membre de l’équipe de recherche “Atmosphères planétaires” à l’IASB.

« Des tests approfondis en laboratoire et de nouvelles simulations atmosphériques globales seront nécessaires pour mieux comprendre l’interaction surface-atmosphère à base de chlore. Des observations continues sur Mars sont également nécessaires pour confirmer que la hausse et la baisse du HCl sont liées à l’été dans l’hémisphère sud de la planète Mars », concluent les scientifiques. « Les observations de Trace Gas Orbiter nous permettent d’explorer l’atmosphère martienne comme jamais auparavant. »

Exemples de spectres montrant la détection du chlorure d’hydrogène (HCl) recueillis par la suite de chimie atmosphérique (ACS) à bord de l’orbiteur ExoMars Trace Gas de l’ESA-Roscosmos. Les données ont été collectées par la méthode d’occultation solaire où l’instrument pointe à travers l’atmosphère vers le Soleil et observe comment différents ingrédients atmosphériques absorbent la lumière du Soleil. Comme les différents produits chimiques ont des empreintes distinctes, ces observations fournissent un inventaire détaillé de la composition de l’atmosphère. Ce graphique détaille la façon dont le HCl varie avec l’altitude pour un ensemble particulier de mesures © Korablev et al (2021)

 

Graphique de données montrant les mesures de chlorure d’hydrogène dans l’atmosphère de Mars, telles que recueillies par l’Atmospheric Chemistry Suite (ACS) à bord de l’orbiteur ExoMars Trace Gas Orbiter de l’ESA-Roscosmos. Les détections ont également été confirmées par l’instrument complémentaire, Nadir and Occultation for MArs Discovery (NOMAD). La tempête de poussière mondiale de 2018 est indiquée par le gradient brun/orange. Le graphe montre les emplacements des mesures dans le temps (longitude solaire) et la latitude planétaire © Korablev et al (2021)

 

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