Un des satellites Sentinel du système européen Copernicus d’observation de la Terre, unique au monde © ESA

Objectif Terre

15 mai 2020
par Michel Claessens
Temps de lecture : 6 minutes

Métrologie, observation de la Terre et réchauffement climatique : ce cocktail scientifique pourrait être un résumé très succinct (et simplificateur) de la carrière d’Yves Govaerts, aujourd’hui à la tête de la société belge Rayference, spécialisée dans l’observation de la Terre. Ce physicien diplômé de l’UCLouvain, possède une expertise pointue, mais prisée par les spécialistes de la physique du globe : le transfert radiatif. Cette notion technique désigne en particulier l’étude des interactions entre le rayonnement solaire direct et la planète, et permet de comprendre ces échanges de chaleur qui jouent un rôle fondamental en météorologie et climatologie.

Mais qui dit transfert radiatif dit aussi instruments de mesure et observation de la Terre. Voilà comment Yves Govaerts et son équipe ont contribué au développement de la « métrologie spatiale », qui permet d’étalonner des instruments de mesure emportés à bord des satellites et de savoir ce que ceux-ci mesurent précisément.

« La métrologie est la science de la mesure », explique Yves Govaerts lors d’une interview confinée. « C’est donc le b.a.-ba de la science. Un mètre-ruban que vous achetez au magasin de bricolage est une copie fidèle d’un mètre-étalon qui se trouve en Belgique, lui-même copie très rigoureuse du mètre-étalon se trouvant à Sèvres, en France. »

Cap sur l’espace

La métrologie est donc une discipline scientifique fondamentale. Imaginons ce qui se passerait si les corps de métier en Belgique utilisaient des « mètres » de longueurs différentes. La vie et le commerce seraient tout simplement impossibles !

On se souviendra que la sonde spatiale américaine Mars Climate Orbiter s’est écrasée en 1999 sur la planète Rouge à la suite d’une confusion d’unités : l’équipe d’ingénieurs de la NASA calculait la poussée du moteur de freinage en livres (selon le système anglo-saxon) alors que le contractant, la firme Lockheed, l’exprimait en newtons (unité préconisée par le Système International).

La métrologie est tout aussi importante pour les satellites qui observent la Terre : leurs instruments doivent être étalonnés et vérifiés, ce qui est évidemment beaucoup plus compliqué une fois que vous vous trouvez dans l’espace. Grâce au projet FIDUCEO (Fidelity and uncertainty in climate data records from Earth observations), financé par l’Union européenne, Yves Govaerts et son équipe de Rayference, aujourd’hui leader dans ce domaine, ont développé des protocoles qui permettent de savoir exactement ce que ces satellites mesurent, afin de comparer et utiliser les données récoltées, et avec quelle incertitude.

Ce travail a permis d’exploiter les images collectées par des satellites, lancés il y a plus de vingt ans pour le suivi du changement climatique. Et donc de constituer de vastes banques de données, très utiles, notamment, pour affiner les modèles de prévision climatique.

Un réchauffement si rapide

Le réchauffement climatique ! On perçoit l’intérêt ainsi que l’inquiétude d’Yves Govaerts pour ce sujet. « Quand j’ai terminé mon master dans les années quatre-vingts, poursuit-il, on évoquait timidement le possible impact du dioxyde de carbone (et donc des activités humaines) sur le climat. Ayant travaillé avec le professeur André Berger, je savais bien que le climat pouvait évoluer naturellement et de façon importante. Il y a 18.000 ans, par exemple, la banquise s’étendait jusqu’au nord de l’Allemagne et la Belgique était recouverte de toundra ! La température moyenne du globe était alors de – 6°C par rapport à sa valeur actuelle. »

« Cela vous donne une idée de ce qui nous attend si la température moyenne de la Terre augmente, ainsi que le prédit le scénario business as usual des climatologues, de +3,2 à +5,4°C pour la fin du siècle ! Cela représente une énergie colossale. Mais le plus effrayant est la vitesse du réchauffement actuel. Sans aucun doute la planète continuera à bien se porter, mais il en sera peut-être autrement des êtres humains… »

Les travaux d’Yves Govaerts et des scientifiques du projet FIDUCEO ont donc donné à la métrologie spatiale ses lettres de noblesse. Au point que cette discipline est maintenant reconnue par l’ESA, qui lancera en 2026 un satellite spécifique appelé « TRUTHS » (Traceable Radiometry Underpinning Terrestrial- and Helio- Studies), pour fournir des mesures de référence et très précises du rayonnement entrant (solaire) et sortant (réfléchi). Ces mesures permettront d’améliorer, d’un ordre de grandeur, les estimations du bilan radiatif de la Terre et, partant, les prévisions des modèles climatiques.

Estimation des poussières atmosphériques (aérosol) à partir des observations du satellite Européen Meteosat seconde génération, avec un des algorithmes de traitement de données d’observation de la Terre développé par la société Rayference. Ce travail a été financé par le projet Aerosol_cci (climate change initiative) de l’ESA.

L’Europe à la pointe

« Les retombées de ces recherches sont nombreuses pour la société et les citoyens », explique Yves Govaerts. « En effet, les modèles climatiques sont de plus en plus importants pour de nombreuses activités humaines, notamment l’agriculture et la construction. Ainsi, les promoteurs de tout projet de grande infrastructure, par exemple portuaire, vont chercher à estimer le contexte climatique dans les 20-30 prochaines années sur le lieu de construction pressenti pour connaître le niveau de la mer, la température moyenne, etc. et donc savoir si les conditions sont favorables au projet. »

Et de poursuivre, « en Europe, nous avons la chance d’avoir les satellites Sentinel, le programme européen d’observation de la Terre mis en œuvre par l’ESA, en support aux services Copernicus de l’Union européenne, qui offre des données de qualité en accès libre et gratuit. Aujourd’hui, Copernicus compte six services couvrant la composition atmosphérique, l’océan, la couverture terrestre, le changement climatique, la sécurité de l’Europe et la gestion des urgences. L’Europe est réellement à la pointe dans ce domaine. Ni les Etats-Unis ni la Chine ne possèdent des services de cette qualité. Copernicus est l’un des projets qui vous rendent fiers d’être européens . Nous avons la chance que l’Union européenne investisse dans la recherche, même si les procédures de la Commission sont parfois un peu lourdes. »

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