On le croyait coureur de longue distance, et donc élancé. En réalité, Homo Erectus serait plutôt trapu. C’est ce que révèle une étude interdisciplinaire qui a investigué la cage thoracique d’un Homo Erectus emblématique : le garçon de Turkana. Dr Benoit Beyer, chercheur à l’Université Libre de Bruxelles, a reconstitué en vidéo les mouvements du thorax lors de la respiration de celui-ci et les a comparés à ceux de l’humain moderne, Homo Sapiens.
Une adaptation physique à l’environnement changeant
La cage thoracique à la fois plus large, plus profonde et plus courte de l’Homo Erectus suggère qu’il était bien plus trapu que cela n’avait été considéré jusqu’à présent. Cette hypothèse était préalablement basée sur sa réputation de « coureur de longue distance » associée à priori à une corpulence plutôt mince.
L’intérêt de l’évolution de la corpulence de l’humain moderne est qu’elle permet d’entrevoir comment nous pouvons ou avons pu, nous et nos ancêtres, nous adapter à notre environnement.
« En tant qu’Homo Sapiens, nous sommes globalement relativement grands et élancés contrastant, par exemple, avec une corpulence, petite, lourde et trapue du Néandertalien », explique Benoit Beyer.
Les scientifiques ont longtemps pensé que la forme de notre corps actuel était apparue avec les premiers représentants d’Homo Erectus dans le contexte du changement climatique et du recul des forêts tropicales d’Afrique, il y a plus de 2 millions d’années.
« Notre corpulence grande et élancée pourrait constituer un avantage évolutif lors de l’expansion de la savane chaude et aride, permettant à la fois de limiter l’augmentation de la température corporelle et de faciliter la course bipède dans des terrains plus découverts. »
La cage thoracique du garçon de Turkana en 3D
Plusieurs caractéristiques du corps moderne sont d’ailleurs retrouvées sur les restes fossilisés de l’Homo Erectus adolescent retrouvé à l‘ouest du lac Turkana au Kenya et datant de 1,5 millions d’années. Le squelette humain du garçon de Turkana ou enfant de Nariokotome, est le plus complet de ce type retrouvé à ce jour.
Les études portant sur la manière dont cet ancêtre marchait et courait se sont, jusqu’à présent, largement concentrées sur le squelette des membres inférieurs. Y compris le bassin. Cependant, pour la course d’endurance, les capacités respiratoires ou les adaptations thoraciques sont également intéressantes à évaluer. Aujourd’hui, grâce à l’introduction de techniques de plus en plus sophistiquées, à la fois d’imagerie et de modélisation 3D statique et dynamique, ce type d’analyse est devenu possible.
Les chercheurs ont ainsi reconstitué une cage thoracique tridimensionnelle virtuelle du garçon de Turkana. Et ont prédit sa forme adulte à partir d’une simulation de sa croissance complète.
Cette forme de cage thoracique a ensuite été comparée à celle de l’humain moderne et d’un Néandertalien ; puis une simulation dynamique a permis d’évaluer le mouvement respiratoire.
« Nos résultats modifient notre compréhension de l’Homo Erectus » explique Markus Bastir, paléoanthropologue au Museo Nacional de Ciencias Naturales de Madrid. « Son thorax était plus large et volumineux que la plupart des personnes vivant actuellement ».
Voir le garçon de Turkana respirer
Chercheur au Laboratoire d’Anatomie Fonctionnelle (Faculté des Sciences de la Motricité) et au Laboratoire d’Anatomie Biomécanique et Organogenèse (Faculté de Médecine) de l’ULB, Benoit Beyer a travaillé, au sein de cette étude interdisciplinaire, sur la modélisation tridimensionnelle et l’analyse morphologique. Sa vidéo permet de visualiser le mouvement respiratoire de la cage thoracique supérieure (côtes 1 à 7) du garçon de Turkana et de l’humain moderne en vue frontale.
« L’analyse de la morphologie 3D des côtes, associée à la simulation d’un mouvement respiratoire fonctionnel suggère que la forme de la cage thoracique se modifiait selon un pattern différent », explique Dr Benoit Beyer.
« Notre propre forme corporelle actuelle comprenant un thorax aplati et haut avec un bassin et une cage thoracique étroite, semble être apparue seulement récemment dans l’évolution humaine, avec notre espèce, Homo Sapiens », conclut l’équipe internationale de chercheurs.
« Cet Homo Erectus n’était peut-être pas le coureur de longue distance athlétique et maigre que nous imaginions, ce qui concorde avec des découvertes de fossiles plus récentes et des estimations de poids corporel plus importantes que celles obtenues précédemment; cet ancêtre emblématique nous ressemblait peut-être un peu moins que nous l’avions dépeint au fil des années. »