C’est un succès spatial et technologique belge époustouflant. Le premier satellite belge « Proba », placé en orbite par une fusée indienne en octobre 2001, est toujours fidèle au poste et est bien actif. Un record du genre pour ce type d’engin.
« Ce satellite, qui ne devait fonctionner à l’origine que pendant deux ans, affiche une longévité exceptionnelle », s’exclame René Wittmann. À la station de poursuite des satellites de l’ESA (Agence spatiale européenne) située à Redu, dans la province de Luxembourg, cet ingénieur, qui surveille Proba 1 de près, ne tarit pas d’éloge pour ce démonstrateur technologique. « Bien sûr, les technologies dont il devait démontrer l’efficacité dans l’espace ont vieilli. En vingt ans, les progrès ont été énormes. Malgré tout, Proba reste un outil intéressant et opérationnel en orbite. Il a même permis de tester de nouvelles procédures que nous n’imaginions pas lors de son lancement. »
Démontrer une certaine autonomie en orbite
Ce premier satellite « PROBA » (« PRoject for On Board Autonomy ») est doté de caméras, dont le spectromètre imageur compact à haute résolution « CHRIS », capable d’enregistrer des détails de l’ordre de 17 à 34 mètres au sol à travers une sélection de longueurs d’onde.
Les objectifs de Proba-1 portaient notamment sur la démonstration en orbite de nouvelles technologies pour engins spatiaux promis à une grande autonomie. Dans ce cadre, un usage intensif a été fait des fonctions automatisées à bord du vaisseau spatial. « C’est bien simple, avec des satellites de ce genre, nous pouvons passer nos week-ends à la maison, et non devant les écrans de contrôle », précise René Wittmann.
Proba passe deux fois par jour au-dessus de Redu. C’est l’occasion pour le personnel de la station de l’ESA de lui envoyer des commandes spécifiques, de lui expédier son plan de travail pour les prochaines heures ou les prochains jours, d’actualiser son programme d’observations, mais aussi de ramener au sol les images récemment prises par le satellite. Ensuite, Proba a carte blanche. Il gère lui-même sa (ses) journée(s) de travail. « En semaine, nous ne passons en moyenne que deux heures par jour à préparer le programme du satellite et à communiquer avec lui », précise l’ingénieur.
Des petites maladies vite soignées
Bien sûr, en vingt ans, le petit satellite (de la taille d’une machine à laver) a connu quelques petites maladies en orbite. « Mais rien de grave », indique Christian Baijot, responsable des opérations à Redu. « Je pense, par exemple, à des soucis de logiciels qu’on peut résoudre facilement, instrument par instrument, en relançant les programmes informatiques concernés, voire en ‘rebootant’ tout le satellite ».
« En 2012, nous avons, par contre, dû faire face au problème de la dérive du satellite », reprend René Wittmann. « Il se décalait de plus en plus pour, finalement, ne plus pouvoir prendre des images de la Terre que dans la pénombre, ce qui n’est pas optimal. Avec ce genre d’engin, on souhaite prendre des images du sol selon un bon angle d’éclairage. Au cours d’une demi-orbite, Proba voit la partie de la Terre bien éclairée. L’autre demi-orbite lui fait survoler la partie plongée dans la nuit. Être tout le temps dans la pénombre n’est pas vraiment intéressant. »
« Trois ans plus tard, le problème de dérive s’est finalement réglé de lui-même. Les zones survolées par le satellite étaient à nouveau bien éclairées. Par contre, nous avons dû innover. Au lieu de prendre des images côté jour lors de la phase « descendante » de l’orbite, il a fallu reprogrammer le satellite pour qu’il travaille durant sa phase « ascendante », et modifier ainsi sa logique de contrôle. Bref, cela lui a donné encore plus d’autonomie, et nous n’avons ainsi pas perdu la mission.»
Une mort annoncée… dans 18 ans
Proba est désormais capable de prendre des séries de cinq images d’une même cible à deux minutes d’intervalle. Pas de quoi permettre d’obtenir des vues stéréoscopiques détaillées d’un point sur Terre. Mais cette innovation a, par contre, offert de nouvelles opportunités aux scientifiques, par exemple tenter de différencier les types d’arbres sur certaines parcelles.
Si techniquement Proba 1 est toujours opérationnel, ses jours sont cependant comptés. Enfin, ses jours, c’est une façon de parler. Parlons plutôt de ses années opérationnelles. « Si aucun souci technique ne se manifeste, il pourrait encore rester actif pendant maximum… 18 ans », précise Christian Baijot. « Après cela, l’altitude de son orbite aura tellement diminué qu’il se frottera aux hautes couches de l’atmosphère et s’y consumera. »
À moins qu’il ne permette encore une autre innovation? « C’est possible », reprend l’ingénieur. « Par exemple dans le cadre du projet ADRIOS (Active Debris Removal/ In-Orbit Servicing) de l’ESA. Un projet qui vise à mettre au point un système de récupération de débris spatiaux, afin de nettoyer la proche banlieue terrestre. Ce système de récupération et de désorbitation de vieux satellites devenus inutiles pourrait être testé avec Proba 1. Mais rien n’est encore décidé.»
Pas de quoi émouvoir les équipes de Redu cependant. « Nous sommes complémentaires aux équipes de l’Esoc, (le grand centre de contrôle des satellites européens de l’ESA, qui est situé à Darmstadt, en Allemagne). « Nos activités sont centrées sur les petits satellites et sur les démonstrateurs technologiques. Outre Proba 1, nous sommes aussi en charge, notamment de Proba 2 (un engin du même genre dédié à l’observation du Soleil) et à Proba Vegetation (qui surveille le couvert végétal de la planète). Et nous attendons Proba 3 avec intérêt », précise encore Christian Baijot.
Avec Proba 3, un duo de satellites doit démontrer qu’il est possible de voler en formation dans l’espace avec un très haut niveau de précision. Cette mission devrait prendre le chemin de l’orbite l’an prochain. Et c’est, bien sûr, avec Redu qu’il sera en étroite communication.
N.B. : Redu siège de la cybersécurité spatiale européenne : Cette semaine, le directeur général de l’ESA était en visite à Redu. En compagnie du Secrétaire d’Etat belge à la Politique scientifique fédérale, le PS Thomas Dermine, il a annoncé la volonté de l’ESA de voir Redu se positionner comme plaque tournante de la cybersécurité spatiale en Europe. Un projet pour lequel l’ESA investirait une trentaine de millions d’euros entre 2022 et 2025.