L’Homme, un animal comme les autres ?

15 novembre 2023
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min
« La cigale et le zombie », par François Verheggen. Editions Delachaux et Niestlé. VP 19,90 €

Quel est le propre de l’Homme ? Ce n’est ni la fabrication et l’entreposage d’outils, ni le deuil. Ce n’est pas non plus l’homoparentalité, les activités collaboratives, la guerre, l’altruisme, l’empathie, le rire, la politique, la démocratie, la fidélité, le divorce ni l’agriculture. Dans son livre « La cigale et le zombie », paru aux éditions Delachaux et Niestlé, François Verheggen, zoologue à l’Université de Liège, explore les dernières publications scientifiques en éthologie. Et nous éclaire sur la diversité des comportements animaux, sous forme de petites histoires faciles à lire.

Fabrication et entreposage d’outils

Au début des années 60, les observations de Jane Goodall sur le comportement des chimpanzés faisaient l’effet d’une bombe en balayant la croyance que seul l’humain était capable d’utiliser des outils. Depuis, cette compétence a été observée chez de nombreuses autres espèces animales, notamment chez les corvidés.

Parmi ceux-ci, citons le corbeau calédonien, aussi appelé Qua-qua. Dans son livre, François Verheggen met en évidence que ces oiseaux ne font pas qu’utiliser des outils : ils en fabriquent et en prennent soin. « Jusqu’à la découverte en 2021 de ce comportement, il était considéré comme l’apanage de l’espèce humaine. »

Friand de larves de scarabées, lesquelles ont une fâcheuse tendance à s’enfouir profondément dans le bois de troncs d’arbres, le corbeau calédonien entreprend de construire un outil d’extraction pour l’en déloger. Pour ce faire, il sélectionne une branchette rigide d’un diamètre adéquat pour pénétrer dans la galerie et en arrache, de son bec, toutes les extensions latérales afin de la rendre glabre. La cavité étant imprimée d’un coude, l’oiseau entreprend de plier son outil en son centre. « Il coince l’objet entre le sol et une de ses pattes, saisit une extrémité dans son bec et relève doucement la tête afin de faire fléchir le bois, sans le casser. » L’outil est fin prêt.

Direction le tronc où se terre la larve. « De son bec, le corbeau saisit l’une des extrémités de l’outil qu’il a sculpté, l’approche de l’orifice et l’y introduit. En quelques mouvements de tête, la cible est atteinte. Une rotation du cou de 90 degrés et il ne reste plus qu’à tirer : la larve apparaît ! » Avant de saisir sa pitance, le corbeau range son précieux outil en l’insérant sous un épais morceau d’écorce.

Il s’en resservira tout prochainement. « L’oiseau, comme l’humain, anticipe ses besoins futurs. Grâce à son excellente mémoire, il planifie la réutilisation d’un outil qu’il s’est donné la peine de concevoir, au lieu de perdre son temps et ses ressources à en fabriquer un nouveau. »

Baleines en deuil

Quittons la terre ferme pour les grandes étendues océaniques. Les orques, ces baleines à dents prédatrices, notamment des baleines bleues, le plus grand animal contemporain, sont des cétacés extrêmement sociaux. Ils vivent en groupes familiaux multigénérationnels.

La naissance d’une jeune orque, après un an et demi de gestation, ne se passe pas comme prévu. Au bout de quelques minutes, son cœur cesse de battre. « De la pointe de son museau, la mère lui mordille les nageoires. Elle lui présente ses mamelles. En vain. L’un après l’autre, les membres du groupe se succèdent à proximité du défunt. Leur nage lente et leurs mouvements retenus témoignent d’une forme de compassion, voire de recueillement. La mère semble figée face à son enfant sans vie. »

Les membres du groupe finissent par reprendre la nage, la forçant à les suivre. Mais celle-ci n’abandonne pas son petit et entreprend de le pousser du museau afin de l’empêcher de couler dans les profondeurs. Compréhensif et tolérant, le groupe adapte sa vitesse et se déplace à faible allure, sacrifiant ses propres périodes d’alimentation. Cette scène mortuaire va se succéder pendant plus de deux semaines. « Affamée et épuisée, ce n’est qu’au terme du 17e jour que la femelle va laisser couler son petit, après l’avoir maintenu à ses côtés sur plus de 1500 kilomètres. »

« Compte tenu du caractère très uni des communautés d’orques apparaissent des comportements que l’on peut aisément associer à de l’empathie et/ou à de l’affliction. Le deuil, en particulier, fait référence à un ensemble d’attitudes, souvent complexes et variables au sein des membres d’une espèce animale, en réponse à la perte d’un individu décédé et avec lequel un lien d’affection s’est formé. »

« Emotion courante chez les humains, il a été démontré que le deuil se manifeste auprès d’autres espèces animales : chez les éléphants, les loups, les chimpanzés et divers cétacés comme les dauphins et les orques. Il ne s’agit donc pas d’un comportement propre à l’Homme », conclut le zoologiste. Son livre nous amène à regarder d’un autre œil le règne animal qui nous entoure.

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