Facsimilé d'un fragment de tablette d’écolier écrite en élamite linéaire conservé au Louvre. Cet objet, comportant ce que le Dr François Desset a analysé comme étant une portion d’un exercice de grille phonétique, lui a ouvert les portes du déchiffrement des signes restants de cette écriture parmi les plus anciennes de l'humanité © Laetitia Theunis

L’élamite linéaire, une des premières écritures de l’humanité, a été déchiffré

15 décembre 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

À l’instar de Champollion, Dr François Desset, postdoctorant au département des Sciences de l’Antiquité de l’ULiège, est parvenu à déchiffrer l’une des plus anciennes écritures : l’élamite linéaire. Ce système graphique, utilisé entre 2 300 et 1 850 av. J.-C. dans le sud de l’Iran actuel, a longtemps résisté aux tentatives d’interprétation. Cette véritable enquête scientifique a été racontée dans un documentaire soutenu par ARTE. Celui-ci sera projeté sur grand écran le 18 décembre à l’ULiège en présence des réalisateurs et du chercheur.

Affiche de la projection du 18 décembre 2025.

L’écriture apparaît au Proche-Orient il y a environ 5 300 ans. Parmi les premiers systèmes identifiés figurent les hiéroglyphes égyptiens, le cunéiforme mésopotamien et l’élamite linéaire. Les deux premiers ont été déchiffrés au XIXᵉ siècle, alors que le troisième, malgré de multiples tentatives tout au long du XXᵉ siècle, était considéré comme indéchiffrable. Principal obstacle : le nombre trop limité de textes disponibles, insuffisant pour établir des comparaisons systématiques entre les signes.

Un déchiffrement longtemps au point mort

Il y a une quinzaine d’années, alors qu’il participe à des fouilles archéologiques en Iran dans le cadre de sa thèse, l’archéologue et philologue François Desset découvre un artefact inscrit en élamite linéaire. Cette rencontre marque le début d’un long parcours qui le mènera finalement à en percer le code.

À l’époque, seuls 24 signes avaient fait l’objet de tentatives d’interprétation, dont la plupart se révéleront erronées. Au début du XXᵉ siècle, l’archéologue Ferdinand Bork, spécialiste du cunéiforme, avait néanmoins posé les bases : en comparant une inscription digraphe (en élamite linéaire et en cunéiforme) de la Table au Lion, découverte à Suse, il avait reconnu avec exactitude quatre signes élamites. Mais les progrès restèrent ensuite très limités.

Objets portant des inscriptions en écriture cunéiforme © Laetitia Theunis

Des vases inattendus qui relancent tout

Au début des années 2000, à peine une vingtaine de textes en élamite linéaire étaient connus, un ensemble bien trop réduit pour avancer. Le tournant survient lorsque la famille Mahboubian, collectionneurs iraniens installés à Londres, publie les photos de trois vases gravés dans cette écriture. Après d’intenses démarches, François Desset obtient l’autorisation d’examiner leur collection — et découvre non pas trois, mais de nombreux objets en argent portant des inscriptions inédites en élamite linéaire, qu’il peut photographier en détail.

Avant de poursuivre, il doit en vérifier l’authenticité. Les analyses métallurgiques confirment que leur composition correspond à celle des alliages utilisés dans la région aux IIIᵉ et IIᵉ millénaires av. J.-C., rendant très peu probable une contrefaçon.

En haut à gauche : facsimilé du fragment de tablette d’écolier en élamite linéaire conservé au Louvre. En bas à droite: création de François Desset en élamite linéaire © Laetitia Theunis

Comparer, tâtonner et finalement déchiffrer

Avec ce corpus enrichi, Dr Desset progresse rapidement.  La langue élamite s’écrivant à la fois en cunéiforme et en élamite linéaire – c’est comme si le français s’écrivait à la fois en alphabet latin et en alphabet cyrillique – , il peut comparer les noms de rois connus en cunéiforme avec ceux apparaissant sur les objets portant des inscriptions en élamite linéaire. Ce jeu de correspondances successives lui permet de reconnaître toujours plus de signes.

Une confirmation décisive survient lorsqu’il repère au Louvre un fragment de tablette scolaire comportant ce qu’il interprète comme un exercice de grille phonétique en élamite linéaire. Celui-ci lui offre la clé des signes restants.

Au terme de son travail, François Desset identifie un système de 77 signes à valeur phonétique : 5 voyelles, 12 consonnes et 60 syllabes formées par leurs combinaisons. La lecture complète du vase de Marv Dasht, daté du IIIᵉ millénaire avant J.-C. et conservé à Téhéran, valide son déchiffrement. En 2022, il publie la version intégrale de sa clé de déchiffrement, consacrant des années de recherches.

« Nous avons désormais accès au système d’écriture élamite linéaire, et donc aux mots et expressions employés par les populations de la civilisation d’Elam. Faire renaître des termes disparus depuis des millénaires enrichit notre compréhension de l’histoire du Proche-Orient », conclut le Dr François Desset.

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