SERIE (2) / Diplomatie scientifique
Ils n’ont pas le statut de diplomate, mais ils abattent un travail formidable aux quatre coins de la planète. Leur travail bénéficie aux chercheurs, aux universités, aux hautes écoles, aux centres de recherche et aux entreprises innovantes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils sont six. Six « Agents de liaison scientifique » (ALS) qui relèvent de « Wallonie-Bruxelles International », l’agence chargée de valoriser à l’étranger le talent des Wallons et des francophones de Belgique.
« L’histoire des ALS est récente », commente Pascale Delcomminette, Administratrice générale de Wallonie-Bruxelles international (WBI). « Alors que l’Union européenne préparait son plan pluriannuel de financement de la recherche Horizon 2020, nous avons également décidé de changer de braquets en Fédération Wallonie-Bruxelles en ce qui concerne la recherche et ses développements potentiels ».
Un réseau d’agents en charge de projets de recherches et d’innovation
« Parallèlement, depuis le début des années 2010, nous nous interrogions également sur l’évolution du rôle des lecteurs de WBI à l’étranger, ces personnes chargées d’enseigner le français et d’y être les témoins de notre communauté. Avec elles, nous avions la chance de disposer dans toute une série de pays de professionnels intégrés dans des structures éducatives”.
L’idée de construire un réseau d’agents plus spécifiquement en charge de projets de recherche et d’innovation a pris forme. Une initiative bienvenue, d’autant que les pôles de compétitivité wallons (un regroupement d’entreprises et d’acteurs de la recherche en lien avec un domaine économique spécifique) étaient également intéressés. L’attrait d’un nouvel outil facilitant les contacts, les relations scientifiques et technologiques se faisait évident.
C’est comme cela que le projet d’ALS a été mis sur pieds. Le premier agent, toujours en poste actuellement, a été Henri Sprimont, en Suède. Ensuite, une ALS a été engagée pour le Brésil. Aujourd’hui, ils sont six.
Pourquoi avoir démarré par la Suède ? « Parce que c’est dans ce pays que la question de l’évolution du métier de lecteur s’est posée initialement et que les relais institutionnels existaient déjà”, précise Madame Delcomminette. “Ce fut donc une expérience pilote. Quand la pertinence de la démarche a été confirmée, l’identification des postes suivants a fait l’objet d’une analyse et d’une décision de la Plateforme Recherche et Innovation de WBI“.
Une même mission, six déclinaisons
La mission d’un agent de liaison scientifique est partout identique, tout en étant conditionnée par les réalités, les contraintes, mais aussi le tissu scientifico-économique local. Basé dans une université (pour la plupart), son terrain d’action s’étend à l’ensemble du pays qu’il couvre.
« Je suis arrivée au Brésil, à l’Université de Sao Paulo, en 2012 », se souvient Julie Dumont, une juriste sortie de l’ULB et qui précédemment travaillait au bureau de transfert de technologies de l’université bruxelloise. « Mon travail à Bruxelles m’avait déjà permis d’acquérir de bonnes connaissances sur les mécanismes wallons et bruxellois en matière de recherche, de financements et de transferts de technologies. Cela m’a clairement été utile dès mon arrivée au Brésil. Depuis 6 ans, mon travail consiste à valoriser les partenariats de recherche entre des scientifiques de nos deux pays”.
“Au Brésil, pour faire connaître nos atouts, nos programmes et nos ressources, j’ai eu la chance de pouvoir me greffer à une vaste initiative de la délégation de l’Union européenne. Elle organisait à l’époque une tournée dans le pays afin de faire connaître les outils de financement de la recherche liés au programme Horizon 2020. Les Etats-Membres de l’UE étaient invités à y participer, voire à coordonner une activité. Ce que je n’ai pas hésité à faire! »
Collaborations avec l’AWEX
De stands en ateliers, de rencontres informelles en séminaires regroupant à l’occasion des partenaires belges et brésiliens, le travail de l’Agent de liaison scientifique a permis de créer des liens.
« Que ce soit entre chercheurs, entreprises, centres de recherche ou universités, ces exercices ont permis d’identifier les compétences recherchées et/ou des sources de financement pour les projets », précise Madame Dumont.
Les réseaux se sont donc développés. Les premiers résultats concrets sont désormais au rendez-vous. Comme l’installation d’une PME wallonne au Brésil spécialisée dans le diagnostic. En collaboration avec l’Awex, cette société a pu trouver sur place les meilleurs partenaires afin de développer sa technologie. Un autre résultat concerne l’identification de deux scientifiques de haut niveau qui ont pu rejoindre le programme wallon BEWARE.
Veille technologique
Parallèlement à ce rôle de facilitateurs des relations scientifico-économiques, de « connecteurs », les ALS ont aussi comme mission d’effectuer une veille technologique dans le pays où ils sont en poste. Ces informations remontent vers WBI qui les diffuse alors régulièrement vers l’ensemble des opérateurs bruxellois et wallons du domaine (universités, centre de recherche, entreprises, clusters, pôles de compétitivité, etc.).
C’est là aussi une facette du travail de Mathieu Quintyn, ALS en poste en Allemagne. Contrairement à ses collègues, il n’est pas « domicilié » dans une université, mais bien au Consulat honoraire de Belgique de Munich.
Pourquoi Munich ? « Parce qu’on retrouve dans cette région un gros potentiel en recherche et innovation », dit-il. « Toute la chaine de valeur y est présente: universités, centres de recherches, entreprises”.
“Munich est notamment le siège de la Société Fraunhofer pour le soutien à la recherche appliquée (67 établissements dans le pays) et de la société Max-Planck pour le développement des sciences, laquelle regroupe 83 instituts de recherche fondamentale en Allemagne. C’est l’endroit idéal pour mettre en place des projets collaboratifs! »
Des projets qui sont notamment orientés par les priorités du Plan Marshall wallon. « On parle notamment du génie mécanique, des technologies environnementales, de l’industrie 4.0 dont la production est soutenue par le digital », souligne Mathieu Quintyn. « Autant de secteurs dans lesquels l’Allemagne et sa politique industrielle excellent et qui intéressent directement nos pôles de compétitivité ».
Bilan positif pour un corps appelé à évoluer
À Montréal comme à Boston et Lausanne, où sont en poste les trois autres Agents de liaison scientifique de WBI, Adrien Sellez, Maxime van Cauter et Vassil Kolarov tiennent le même type de discours et affichent la même motivation, le même enthousiasme.
Mais pour quels résultats ? « Toutes les informations qui nous remontent du terrain, des universités, de nos opérateurs sont positives », constate Pascale Delcomminette, administratrice générale de WBI, mais aussi de l’Awex, l’Agence wallonne à l’Exportation et aux Investissements étrangers. Les pôles de compétitivité nous le disent: les ALS incarnent le chaînon qui manquait à notre panel de services ».
« Et ils ne font pas double emploi avec d’autres représentants de Bruxelles, de la Wallonie ou de la Belgique à l’étranger. La preuve par la Suisse. Nous y disposons d’un délégué, d’un attaché économique et culturel et d’un agent de liaison scientifique. Chacun capte des publics différents. Bien sûr, ils se croisent et se rencontrent régulièrement. Cela leur permet de mettre leurs publics en commun”.
“Même s’il favorise aussi les réseaux, l’attaché entre moins dans la problématique de la recherche. Vassil Kolarov par contre, notre ALS, déploie une approche très orientée sur le développement de la recherche et innovation”.
Rudy Demotte, le Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, est lui aussi convaincu de l’intérêt du travail des Agents de Liaison scientifique.
« Ils constituent un corps « d’ambassadeurs de la science, de la recherche et de l’innovation » au service des acteurs de la RDI de Bruxelles et de la Wallonie », dit-il. « Bien sûr, la diplomatie scientifique s’exprime aussi au travers des réseaux de délégations, dans les missions bilatérales… Mais la consolidation, la professionnalisation et le déploiement du réseau d’ALS en font des outils « WBI-AWEX » de choix, ancrés dans la stratégie régionale du Plan Marshall ».
« Leurs nombreux résultats positifs en attestent: visibilité de nos opérateurs, projets de recherche conjoints, appuis à la conclusion d’accords institutionnels, d’investissements, valorisation internationale, etc. »
« C’est encore un corps jeune », analyse encore le Ministre-Président. « Il fonctionne bien avec les autres corps (Attachés économiques et commerciaux, délégués, ambassadeurs fédéraux) ».
« Le réseau ALS a positivement été évalué en 2015 à partir d’une méthodologie basée sur le retour des opérateurs. Des enquêtes de satisfaction sont systématiquement menées sur leurs actions. Elles soulignent la perception positive de leur action par les opérateurs ».
Une mobilité… contre-productive!
De quoi leur ouvrir de nouvelles perspectives ? « L’ouverture de nouveaux postes pourrait être envisagée, notamment pour couvrir l’Asie », dit Pascale Delcomminette. « Une décision qui concerne aussi la Région Wallonne », souligne Rudy Demotte.
Et pourquoi ne pas étendre le terrain d’action géographique des ALS actuellement en poste ? « Étendre notre zone d’action à d’autres pays me semble souhaitable. Là où les périmètres géographiques le permettent, bien sûr », analyse de son côté Julie Dumont, ALS au Brésil.
« Par contre, je ne pense pas qu’il soit bon d’envisager une plus grande mobilité des ALS. Il nous faut au moins trois ans environ pour créer un réseau sur place, pour être identifié, pour que notre fonction soit bien comprise par les acteurs locaux. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on devient réellement opérationnel. Quitter un poste pour un autre pays ne serait donc pas productif. La stabilité des agents de liaison scientifique dans leur pays d’accueil est un gage de qualité ».
« Une autre piste pour accroître l’efficacité du corps des ALS et de la diplomatie scientifique de la FWB passe également par le niveau fédéral », indique encore Madame Delcomminette.
« Nous avons désormais atteint une maturité au niveau des communautés dans ce domaine. Ce qui est dommage, c’est la méconnaissance, par les diplomates de l’État fédéral, de nos écosystèmes de recherche et d’innovation ainsi que de nos réseaux, comme celui des ALS. Heureusement, cela évolue. Lors des dernières journées diplomatiques, nous avons pu renouer avec les chefs de postes et leur présenter notre diplomatie scientifique. De quoi nous remettre sur la carte. Pour nous soutenir, ils doivent nous connaître »…
(Dossier réalisé avec le soutien du Fonds pour le Journalisme de la Fédération Wallonie-Bruxelles)