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L’apomorphine, est-elle une clé pour récupérer la conscience ?

16 janvier 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

La sortie d’un coma s’accompagne souvent de troubles de la conscience. Le professeur Steven Laureys, neurologue clinicien à la tête du Coma Science Group au centre GIGA à Liège et directeur de recherches au F.R.S-FNRS, s’attelle à en identifier les bases cérébrales et à améliorer la prise en charge médicale des patients dans le coma, en état d’éveil non-répondant ou dans un état de conscience minimale.  Le Prix Generet pour les Maladies rares vient de lui être décerné.

Géré par la Fondation Roi Baudouin, ce prix est doté d’un montant d’un million d’euros. Il sera en partie utilisé pour mener une étude approfondie, et indépendante de l’industrie pharmaceutique, sur les effets de l’apomorphine sur la récupération de la conscience chez des patients souffrant de lésions cérébrales sévères suite à un traumatisme crânien, un AVC ou un arrêt cardiaque.

Les différentes étapes de récupération de la conscience

Etre conscient, qu’est-ce ? Sur le graphique ci-dessous, l’éveil est en abscisse et la perception consciente en ordonnée. « Quand les deux sont au maximum, l’individu est pleinement conscient », indique Dr Leandro Sanz, médecin et doctorant au sein de l’équipe Coma Science Group sous la direction du Pr Steven Laureys et de la Dre Olivia Gosseries.

Il détaille les autres états, physiologiques (sommeil) et pathologiques (coma, éveil non répondant et état de conscience minimale). Et, met en exergue les étapes possibles de récupération de la conscience :

 

Schéma des différents états de conscience – source : Sanz LRD et al., « Les états de conscience altérée : études comportementales et de neuro-imagerie », 2018.

 

« Nous développons des projets de recherche sur des traitements ayant comme objectif d’améliorer la récupération des patients, et de leur faire remonter plus rapidement la pente des états de conscience. C’est ce que l’on propose de faire avec l’apomorphine, un médicament agissant sur la dopamine, jusqu’alors prescrit aux patients souffrant de Parkinson », poursuit-il.

Comment fonctionne la conscience ?

Le mésocircuit est une hypothèse américaine de fonctionnement de la conscience. L’équipe du Coma Science Group l’utilise comme base pour cibler ses traitements.

Schéma du mésocircuit – source : LRD. Sanz et al., « Treating disorders of consciousness with apomorphine: protocol for a double-blind randomized controlled trial using multimodal assessments », 2019.

Selon cette hypothèse, il existe des boucles d’interactions entre le cortex (partie externe du cerveau), deux des noyaux gris centraux (dans la partie interne du cerveau) et le thalamus, qui joue le rôle de relais entre les deux acteurs précédents. « Ces boucles permettent certainement d’avoir une conscience. »

Dans le cas de lésions cérébrales chez le modèle murin, des chercheurs observent que des fibres nerveuses allant du cortex et du thalamus vers les noyaux centraux sont comme coupées et ne fonctionnent plus normalement.

Comme ces noyaux ne reçoivent plus les bons feed-back du thalamus et du cortex, « ils ne sont plus capables de donner une modulation correcte, et vont alors inhiber fortement le thalamus. L’endormissement de ce dernier va causer une altération de tout le circuit. Et l’individu ne sera plus capable d’être en conscience correcte. C’est là que s’exprime la conscience minimale ou l’état d’éveil non-répondant », précise le chercheur.

Fonctionnement cérébral supplémenté par les médicaments

« L’apomorphine agit sur un sous-type particulier de récepteurs à dopamine, très présents dans les noyaux centraux. Elle pourrait suppléer au feed-back manquant depuis le cortex et le thalamus, et empêcher l’inhibition forte du thalamus. » Cela devrait rétablir partiellement le réseau cérébral de la conscience.

« On pense qu’en montrant au réseau comment fonctionner, il va pouvoir retrouver le bon chemin pour réparer ses connexions neuronales. Mais on n’est pas certain que ce soit totalement possible », indique Dr Leandro Sanz, responsable de la coordination directe de l’étude utilisant l’apomorphine.

De gauche à droite, visualisation par électroencéphalographie de l’évolution de l’architecture des connexions neuronales chez un patient cérébro-lésé (et de l’amélioration de son état de conscience) après un traitement de 30 jours avec de l’apomorphine. Si le résultat est encourageant, les chercheurs doivent maintenant démontrer qu’il est bien dû au traitement et non à une récupération naturelle. source : LRD. Sanz et al., “Apomorphine for the Treatment of Chronic Disorders of Consciousness: A Case Report with Multimodal Assessments”, 2019.

Une phase pilote open-label

Une étude pilote, menée sur 6 patients du centre neurologique William Lennox, est en passe d’être terminée. Son but est de vérifier la faisabilité du protocole de recherche, comme le rythme des examens cérébraux, avant de se lancer dans une étude à grande échelle.

C’est pourquoi, durant cette phase, point de groupe témoin. Durant trente jours d’affilée, chacun des patients s’est vu administrer, au su de tous, de 9h à 21 h, afin de respecter le cycle de sommeil, l’apomorphine en infusion dans la graisse sous-cutanée. Celle-ci libère alors le médicament progressivement dans le sang. « Le cerveau n’aime pas avoir des changements abrupts de concentration, que ce soit des électrolytes, du sucre ou des médicaments qu’on lui donne pour récupérer. »

Les premiers résultats sont encourageants. Néanmoins, l’absence d’un groupe témoin limite leur interprétation. Pour dire que l’apomorphine est utile à la récupération de conscience, il faut prouver qu’elle fonctionne mieux qu’un placebo.

 

Une étude de grande ampleur en triple aveugle

Grâce au Prix Generet, une étude de grande ampleur comprenant tous les contrôles nécessaires va être lancée.

Sur les 48 patients qui vont être enrôlés, la première moitié recevra de l’apomorphine, et la seconde, un placebo. Ni les médecins, ni les chercheurs-évaluateurs, ni les infirmiers, ni la famille ne sauront qui a reçu la molécule active et qui a reçu le placebo. C’est une procédure en double aveugle. Et comme la personne qui fera les analyses statistiques ne sera pas non plus au parfum, on parle même de triple aveugle.

Des collaborations avec plusieurs centres recruteurs, en Belgique et à l’étranger, seront nécessaires pour atteindre le nombre de patients en état d’éveil non-répondant ou en état de conscience minimale souhaité. « C’est un challenge, car cela demande la formation et la pleine collaboration du personnel soignant de chaque établissement. De plus, il faudra s’assurer que l’étude soit menée d’une façon identique dans chaque centre. Il va falloir contrôler au préalable les différentes machines pour, par exemple, réaliser les examens de neuro-imagerie », explique Leandro Sanz.

Rien ne sera laissé au hasard pour obtenir des résultats cohérents et exploitables. Cette étude débutera dans le courant 2020.

 

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