Regardez le ciel et scruter ses mystères, c’est à chaque fois jeter un regard vers le passé. La Dre Yaël Nazé, astronome et Chercheuse qualifié FNRS à l’Université de Liège, nous avait déjà entraînés voici quelques années dans un passionnant voyage astronomique. Voici qu’elle récidive! Pas question cependant de scruter le ciel avec les télescopes professionnels de dernière génération pour remonter aux premières structures de l’Univers. Le périple auquel elle nous convie est surtout géographique et culturel.
C’est en effet de l’astronomie des Anciens dont il est ici question. Son livre, « Astronomies du passé », lève le voile sur les conceptions et les connaissances du ciel qu’en avaient les êtres humains au cours de ces derniers millénaires aux quatre coins de la planète. Et la formule « aux quatre coins de la planète » n’est pas une simple figure de style dans ce contexte.
Le triangle polynésien
Bien sûr, les richesses historiques liées à l’astronomie en l’Egypte ancienne, dans la Grèce antique, de la Perse ou encore de la Chine et de l’Inde ont déjà longuement été disséquées par de multiples auteurs. Le livre de Yaël Nazé n’en fait pas l’économie.
Mais la scientifique liégeoise n’en est pas restée là. Ses recherches l’ont aussi amenée à s’intéresser aux astronomies oubliées. Parce qu’à côté des grands classiques du domaine, il y a également ces savoirs à connotation astronomique issus de régions du monde « rarement considérées et souvent peu étudiées, comme celles de l’Afrique noire, de l’Australie aborigène et des îles polynésiennes », rappelle-t-elle.
Des astronomes en Polynésie? Les îles du triangle polynésien, dont les sommets sont Hawaii, l’île de Pâques et la Nouvelle-Zélande, sont des confettis de terres émergées dans une immensité océanique colossale. Pour naviguer entre ces terres, les étoiles n’ont pas du manquer de servir de balises aux premiers insulaires et à leurs descendants.
L’homme-Lune éclipse la femme-Soleil
Un autre exemple fascinant recensé dans le livre porte sur les aborigènes d’Australie. « Ils sont arrivés sur le sous-continent australien il y a plus de 40.000 ans », indique Yaël Nazé. « Avant l’arrivée dévastatrice des colons, on comptait 300 groupes de langues aborigènes distinctes, avec 750 dialectes. Leur culture est transmise par des contes oraux, des chants, des danses ou des rituels qui nous parviennent quasi inchangés depuis des temps immémoriaux. Le ciel tient une place privilégiée chez ce peuple car dans le bush, tout est relié. Leur connaissance céleste est probablement la plus ancienne qui nous soit parvenue sans altération », estime-t-elle.
Une gravure aborigènes avec représentation de croissants illustre sont propos. Voici ce qu’elle en dit: « au départ considérés comme des boomerangs, ces croissants sont aujourd’hui interprétés en lien avec les astres. Sur la gauche, une gravure montrant peut-être un croissant de Lune. Sur la droite, la gravure redessinée montre un homme occultant en partie une femme. Il pourrait s’agir de l’homme-Lune cachant la femme-Soleil lors d’une éclipse ».
Une démarche ethnologique
Pourquoi l’usage du conditionnel? « Comprendre la démarche de nos ancêtres n’est pas chose aisée. Il faut tout d’abord réussir à oublier les connaissances actuelles, et retourner observer la voûte céleste avec nos propres yeux » estime Yaël Nazé. « Ensuite, il faut parfois entreprendre une démarche plus proche de l’ethnologie que de la science «dure» car les arcanes de la civilisation considérée, ainsi que le contexte géographique ou historique, jouent un rôle non négligeable dans la construction de la pensée scientifique », écrit-elle.
« Tout bien pensé, il s’avère finalement que les Anciens avaient développé une science non négligeable. Leurs interrogations, leurs errements, leurs exigences qualitatives et leurs réussites certaines ont modelé la pensée moderne, et se retrouvent encore aujourd’hui. La vie de tous les jours porte même les stigmates de ces héritages anciens: la semaine de 7 jours, l’année de 365 jours, la journée de 24 heures, l’idée de modélisation mathématique, les chiffres « arabes », l’orientation des bâtiments. Même la navigation utilise toujours le ciel: hier les étoiles, aujourd’hui les satellites GPS… »