Les zoos, d’après l’expérience des animaux

16 mars 2020
par Camille Stassart
Temps de lecture : 6 minutes

Raconter l’Histoire des zoos de Paris, Londres et Anvers, en se plaçant du côté des animaux. Tel est le pari de Violette Pouillard, Docteure en Histoire de l’environnement à l’ULB et à l’Ugent.

Dans son ouvrage «Histoire des zoos par les animaux. Contrôle, impérialisme, conservation», issu d’une recherche débutée en 2009 dans le cadre de son doctorat, l’historienne opte pour cette nouvelle approche afin de dépasser le regard anthropocentré de la discipline. Car même si les animaux restent les premiers protagonistes de ce champ de recherche, aller à leur rencontre demeure très marginal.

La relation des humains et des animaux en cage

L’auteure s’est donc basée sur l’expérience animale afin de retracer l’histoire de trois jardins zoologiques emblématiques : la ménagerie du Jardin des Plantes de Paris, tout premier zoo, fondé en 1793, le Zoo de Londres, créé en 1828, et le Zoo d’Anvers, né en 1843.

Plus spécifiquement, la scientifique s’est intéressée à l’évolution des rapports qu’y entretiennent les animaux et les humains. « Ces institutions étant intrinsèquement carcérales, il était pour moi essentiel d’aborder le sujet de la domination des humains sur les animaux sauvages, ainsi que des violences et résistances qui en résultent », indique Violette Pouillard, dont les travaux sont soutenus par le FNRS et le FWO, le Fond National scientifique Flamand.

« La mise en captivité bouleverse totalement le quotidien de l’animal. Son environnement (milieu et climat) change, de même que son alimentation et sa vie sociale. L’enfermement est, en tant que tel, une forme de domination », précise la chercheuse.

Les appauvrissements induits par la vie captive peuvent, par exemple, causer des comportements stéréotypés. C’est-à-dire des attitudes, gestes ou actes que l’animal reproduit inlassablement, comme la déambulation, ou encore le balancement, sans signification apparente. « Ces comportements sont en réalité des indicateurs du stress, de la peur et de la frustration ressentis par l’animal. Mais ils représentent aussi des formes de résistance mentale destinées à faire face à cette captivité », ajoute-t-elle.

Sur les traces du vécu des animaux de zoo

Dans le cadre de son étude, l’historienne a recensé l’ensemble des animaux qui ont vécu dans ces trois zoos. Ce qui donne une idée de la circulation animale et de l’économie extractive dirigée par les zoos. Particulièrement dans les possessions coloniales en Afrique, à partir du 19e siècle.

La chercheuse s’est aussi concentrée sur l’étude de plusieurs taxons, comme les grands singes, pour élaborer des images plus fines de la vie captive. « J’ai regroupé des témoignages écrits de gestionnaires de zoo, ou encore de visiteurs, qui rapportent le vécu des animaux. Et j’ai confronté ces sources avec des travaux d’éthologues qui ont travaillé durant la seconde moitié du 20e siècle sur l’impact de la captivité », stipule la Dre Pouillard.

« En outre, dans le but de restituer l’expérience de cette captivité, j’ai produit des biographies d’animaux, comme le gorille congolais Gust (1952-1988), coqueluche du Zoo d’Anvers », poursuit-elle.

La captivité soumet inévitablement les animaux

L’une des conclusions de l’historienne est que, même si l’accueil des animaux dans les zoos a beaucoup évolué depuis le 19e siècle, les relations de domination des humains sur les animaux y perdurent encore aujourd’hui.

« De nos jours, les zoos rendent aux animaux une part de leur monde en créant des enclos les plus proches possibles de leur milieu naturel. En leur permettant d’avoir une vie sociale, une descendance, … Mais cela, toujours au sein d’un système contraignant, qui peine à redonner aux animaux tout ce qu’il leur a ôté ».

Aussi, illustre la chercheuse, « les orangs-outans captifs, qui vivent normalement dans des environnements extrêmement humides, souffrent régulièrement de problèmes pulmonaires, amenant parfois à des décès précoces. De plus, on observe toujours des comportements stéréotypés chez les animaux de zoo en des proportions loin d’être anecdotiques ».

Les politiques de conservation, héritières de la pensée coloniale

Ce rapport de domination s’étend également en dehors des zoos à travers les politiques de conservation de la vie sauvage. Dès 1900, les puissances européennes disposant de colonies en Afrique cherchent à élaborer des mesures de protection pour y limiter la disparition d’espèces. Le concept de parcs et réserves naturels se développe petit à petit. Le premier est créé au Congo belge en 1925.

Au regard de l’Histoire, les politiques de conservation déployées en Afrique durant l’ère coloniale, avec le soutien de gestionnaires de zoos réputés, entraînent certains problèmes, qui persisteront après les décolonisations. « Les historiens et les politologues ont clairement mis en évidence que les programmes de conservation ont induit des violences sociopolitiques. Un nombre important de locaux ont notamment été exclus et déplacés des zones à protéger, et le sont encore aujourd’hui ».

« Quant aux animaux, ils sont invités à demeurer au sein de ces sites, où ils font l’objet de modes de gestion de plus en plus invasifs. In fine, les promoteurs de nombre de programmes de conservation considèrent que les animaux sauvages ne sont jamais mieux protégés que quand ils sont enfermés, que cela soit dans les réserves ou dans les zoos. On ne peut donc évoquer les violences sociales de ces politiques sans aussi parler des violences environnementales associées », conclut la Dre Pouillard.

Un constat qui amène la scientifique à considérer le rôle des historiens comme essentiel dans l’étude de ces politiques. Et ce, pour plusieurs raisons.

Écoutez Violette Pouillard revenir sur celles-ci :

 

Son ouvrage est une invitation à penser hors du cadre. Dans le but d’élargir les possibilités de rapports et de coexistence entre humains et non-humains.

"Histoire des zoos par les animaux", par Violette Pouillard. Editions Champ Vallon. VP 29 euros
“Histoire des zoos par les animaux”, par Violette Pouillard. Editions Champ Vallon. VP 29 euros
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