En Arctique, la fonte des couches récentes du pergélisol contribue majoritairement aux émissions de gaz à effet de serre

16 avril 2020
par Daily Science
Durée de lecture : 4 min

C’est un fait. Les rivières et les lacs de la toundra arctique de Sibérie émettent du méthane et du dioxyde de carbone. Jusqu’alors, on pensait que ces deux gaz à effets de serre (GES) étaient exhalés du vieux pergélisol. Une étude menée par l’Université d’Amsterdam, avec la participation d’Alberto Borges du Laboratoire d’océanographie chimique de l’ULiège, montre qu’il n’en est rien. Les émissions de CO2 et de CH4 détectées dans cette partie du monde proviennent en réalité de la dégradation de la matière organique contemporaine. Cette situation risque de s’aggraver avec l’augmentation des températures.

Deux fois plus de carbone dans le pergélisol que dans l’atmosphère

Le pergélisol est un sol qui reste gelé pendant au moins deux ans et se trouve sous des latitudes élevées, principalement dans les régions arctiques et antarctiques. Au cours des millénaires, le carbone organique des plantes qui poussent chaque été à sa surface s’y est accumulé. Cela en fait aujourd’hui l’un des plus grands réservoirs au monde de carbone contenu dans le sol. Les scientifiques estiment que le pergélisol contient presque le double du carbone de notre atmosphère.

Une zone de réchauffement intense et vulnérable à la fonte

Le stock de carbone dans le pergélisol est resté en grande partie gelé pendant des millénaires, mais devient de plus en plus vulnérable à la fonte à mesure que la température moyenne de l’air croît. Or, c’est justement la région arctique de la Sibérie orientale qui affiche le triste record des plus fortes élévations de température : + 2,7°C entre 1971 et 2017. Et on estime +7°C d’ici 2100.

Un quart du carbone du pergélisol arctique en Sibérie et en Alaska est contenu dans l’une des couches les plus anciennes appelée Yedoma. Elle est composée de sédiments vieux de plus de 50.000 ans. « Le carbone de Yedoma est particulièrement vulnérable à la fonte suite à la hausse des températures dans l’Arctique, région contenant beaucoup d’eau », explique Dr Alberto Borges, chercheur au sein de l’unité de recherche FOCUS.

Lorsque le pergélisol fond, il peut être converti par des bactéries en puissants gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4 ).

« La contribution de cette fonte aux émissions atmosphériques de CO2 et de CH4 des étangs, des lacs et des rivières était restée inconnue. Il était donc important de savoir si les émissions actuelles de CO2 et de CH4 de la toundra étaient dues à la dégradation de la matière organique moderne ou ancienne.»

Datation au carbone 14

La récente étude à laquelle le chercheur belge a participé, a fourni des estimations de la mobilisation du carbone de la couche Yedoma vers les eaux continentales de la toundra sibérienne. Ainsi que des mesures du radiocarbone (14C, permettant la datation) de la matière organique, du CO2 du CH4.

Cette étude montre que plus de 80% des émissions de CO2 et de CH4 dues à la fonte du pergélisol dans cette région proviennent du carbone contemporain et non de la couche Yedoma, comme le pensait jusqu’à présent la communauté scientifique.

« Les signatures radiocarbone du CO2 dissous et du CH4 étaient plus jeunes que le carbone organique mobilisé, suggérant que la mobilisation du carbone de Yedoma par la fonte n’entraînera pas nécessairement son émission immédiate dans l’atmosphère », explique le chercheur.

Les émissions vont continuer à augmenter

« Étant donné que la plupart des émissions proviendront très probablement de la fonte du «jeune» carbone dans les années à venir, nous n’aurons peut-être pas à nous inquiéter de l’augmentation substantielle du changement climatique due au vieux pergélisol. »

Cependant, l’Arctique restera une énorme source d’émissions de carbone. En effet, du carbone qui était emprisonné dans le sol ou était un composant de la matière végétale, il y a seulement quelques centaines d’années, s’échappe actuellement dans l’atmosphère. Cette situation risque de s’aggraver à mesure que les températures plus chaudes allongent la saison estivale de l’Arctique.

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