Jean Capart en expédition au plateau de Gizeh © MRAH

L’égyptologie belge, une saga longue de 200 ans

16 mai 2023
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 7 min

Plus de 12.000 pièces sont recensées dans les collections d’égyptologie du Musée Royal d’Art et d’Histoire du Cinquantenaire à Bruxelles. « Ce qui en fait la 5e plus grande collection de ce genre en Europe », rappelle Bruno Verbergt, Directeur général a.i. du MRAH. Une collection époustouflante, dont le visiteur ne découvre habituellement qu’un échantillon de quelque 500 objets, momies, sarcophages, vases canopes et autres statuettes exposés dans les salles permanentes du musée fédéral. Durant quelques mois, 200 pièces inédites sont désormais également exposées. Une aubaine!

L’histoire des collections

Mais comment cette collection s’est-elle constituée ? Cette saga, qui s’étend sur plus de deux siècles, est contée dans une exposition temporaire visible au Cinquantenaire jusqu’au 1er octobre 2023. Intitulée « Expéditions d’Égypte », elle relate cette aventure intimement liée à la famille royale belge, mais aussi au génie de Jean Capart, le « père » de l’égyptologie belge, qui dirigea le musée durant de longues années.

Et surtout, elle offre quelque 200 pièces inédites à la curiosité des visiteurs. Et quelles pièces! Il est question d’une statue monumentale de Sekmeth, du papyrus de Léopold II ou encore d’intrigantes photographies en noir et blanc d’expéditions à l’ombre des pyramides.

De Champollion à Léopold II

L’égyptologie naît avec Jean-François Champollion qui déchiffre les hiéroglyphes dès 1822. L’Égypte suscitant l’intérêt des amateurs d’antiquités, quelques collections privées se constituent sporadiquement dans les anciens Pays-Bas.

C’est cinq ans après l’indépendance (1830) de la Belgique que naît modestement la collection égyptienne conservée au musée d’Art et d’Histoire. À l’époque, le gouvernement belge décide de créer un grand musée national, nommé « Musée royal d’Armes anciennes, d’Armures, d’Objets d’Art et de Numismatique », puis « Musée royal d’Antiquités, d’Armures et d’Artillerie ». Installé à l’époque dans les bâtiments de l’actuelle Bibliothèque Royale- puis à la porte de Hal-, ce musée est à vocation essentiellement patriotique et militaire. Selon le premier catalogue, publié en 1854, seule une dizaine d’objets égyptiens font alors partie des collections, offerts par quelques collectionneurs privés.

Un premier développement majeur des collections belges d’égyptologie résulte des deux voyages officiels en Égypte faits, en 1855 et en 1862-1863, par le Prince Léopold, futur Roi Léopold II. Il rapporte de ses voyages une série importante d’antiquités qui sont exposées dans les écuries du palais, place du Trône. La collection sera transférée au Musée du Cinquantenaire.

Dans un statuette issue de la collection royale, Jean Capart, alors directeur général du musée et « père » de l’égyptologie belge, découvre en 1935 un rouleau de papyrus relatant un pan de l’histoire de la fin du Nouvel Empire. Ce document reprend les dépositions de voleurs impliqués dans le pillage des tombes royales thébaines, sous le règne de Ramsès IX (vers 1125 av. J.-C.) © Christian Du Brulle

Un don massif du gouvernement égyptien

En 1935, Léopold III envoie encore au musée quelques pièces de la collection royale, notamment la statuette de Khây, dans laquelle Jean Capart découvre le célèbre Papyrus Léopold II. Ce document extraordinaire reprend les dépositions de voleurs impliqués dans le pillage des tombes royales thébaines, sous le règne de Ramsès IX (vers 1125 av. J.-C.).

En 1894, la collection s’enrichit d’un lot important d’objets provenant d’une des plus fabuleuses découvertes archéologiques du XIXe siècle, la « Deuxième Cachette » de Deir el-Bahari. En 1891, près du temple de Hatchepsout à Deir el-Bahari, est découverte une immense tombe collective intacte, contenant les cercueils des prêtres d’Amon de la 21e dynastie et de leur famille. Au total, plusieurs centaines de cercueils sont mis au jour, ainsi qu’un nombre incalculable d’autres objets funéraires. Cette découverte majeure est malheureusement aussi une réelle catastrophe archéologique : la tombe est vidée en quelques jours et aucun plan n’en est dressé.

Confronté à un arrivage aussi massif d’objets, le Musée du Caire et le gouvernement égyptien du khédive (titre des dirigeants égyptiens à l’époque ottomane) décident d’offrir des lots de cercueils de Deir el-Bahari à divers États, parmi lesquels figure la Belgique.

Les Musées entrent dès lors en possession d’une série impressionnante de dix cercueils et « planches de momies », ainsi que d’un grand nombre d’autres objets provenant de cette extraordinaire Cachette.

Panneau d’un cercueil avec barque solaire, datée du Nouvel Empire, 20e dynastie © Christian Du Brulle

Le dynamisme de Jean Capart comme moteur de développement

En 1900, Jean Capart, âgé de vingt-trois ans, est nommé conservateur adjoint du Musée. Il deviendra ensuite conservateur à part entière, puis directeur général. D’un enthousiasme et d’un dynamisme permanents, Capart, grâce à son obstination, à sa perspicacité, à son entregent et à ses dons de persuasion, va, en une cinquantaine d’années, donner son véritable essor à la collection égyptienne. Il fait de Bruxelles une véritable capitale mondiale de l’égyptologie.

Il a la volonté de rassembler à Bruxelles tout ce qui concerne l’égyptologie. Il développe une bibliothèque aussi exhaustive que possible, une photothèque qui rassemble des clichés de tous les sites archéologiques et des trésors des musées du monde entier.

La visite de la Reine Élisabeth à Toutânkhamon

L’histoire de la collection égyptienne des Musées royaux d’Art et d’Histoire est également étroitement associée à celle de la Fondation (aujourd’hui Association) égyptologique Reine Élisabeth. En 1922, la découverte de la tombe de Toutânkhamon par Howard Carter provoque un engouement sans pareil dans le monde.

La reine Élisabeth de Belgique se rend sur place dès le mois de février 1923, en compagnie de Jean Capart. Elle a le privilège d’être une des premières personnes à pénétrer dans la chambre funéraire de la tombe. C’est pendant ce voyage que Capart suggère à la reine de créer une fondation égyptologique, destinée à promouvoir en Belgique les connaissances scientifiques concernant l’Égypte ancienne.

La Fondation égyptologique Reine Élisabeth devient rapidement un important centre de recherche et de diffusion de l’égyptologie, grâce à ses nombreuses publications et conférences. Elle contribue occasionnellement à l’enrichissement de la collection égyptienne, en apportant son soutien financier à certaines acquisitions.

Jean Capart dans la collection égyptienne en 1897 © MRAH

Le bénéfice des fouilles britanniques

Une autre initiative féconde de Jean Capart pour doper les collections remonte peu avant cette visite royale. Dès 1900, une des premières initiatives de Jean Capart est d’obtenir que les Musées souscrivent financièrement aux fouilles entreprises en Égypte par les archéologues anglais de l’« Egypt Exploration Fund ». À cette époque, le Service des Antiquités de l’Égypte permettait aux missions archéologiques d’emporter une part des objets recueillis au cours de leurs fouilles. Ceux-ci étaient ensuite répartis entre les institutions et musées qui avaient contribué au financement de la campagne, en proportion de leur investissement.

Cette politique porta ses fruits puisque, jusqu’à la fin des années 30, Capart put acquérir pour la collection égyptienne des lots très importants d’objets provenant de tous les sites archéologiques les plus prestigieux d’Égypte : Abydos, Memphis, Gourob, Meidoum, Deir Rifeh, Deir el-Bahari ou Amarna, la capitale du roi Akhenaton, ainsi que de divers sites de Nubie.

Ces objets issus de fouilles régulières et scientifiques constituent aujourd’hui la majeure partie de la collection, une spécificité particulièrement précieuse pour les chercheurs. Pour ceux-ci, en effet, un document retrouvé dans son contexte archéologique est bien plus éloquent qu’un objet dont l’origine est inconnue.

« Désormais, plus aucune antiquité ne sort d’Égypte. À Bruxelles, la priorité n’est de toute manière plus d’accroître la collection », indique Luc Delvaux, commissaire de l’exposition et conservateur de la collection Égypte dynastique et gréco-romaine aux Musées royaux d’Art et d’Histoire.  « C’est désormais l’étude et la mise en valeur de la collection qui se trouve au cœur de nos préoccupations. Des travaux associent des chercheurs de disciplines très diverses, ainsi que les ateliers de restauration des Musées, qui, en appliquant les technologies les plus modernes, redonnent vie aux objets ».

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