Grandement mis en avant depuis la pandémie de Covid-19, le sujet des maladies émergentes et en particulier le cas des zoonoses, suscite peur et idées fausses. Dans le cadre de la journée mondiale des forêts, l’université Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), organisait une série de conférences avec pour thématique : « One Health, la forêt qui cache le virus ». L’occasion de faire le point sur ce domaine relativement méconnu ou en tout cas souvent mal compris.
Une augmentation des maladies infectieuses émergentes
Les maladies infectieuses émergentes, définies comme « l’irruption au sein d’une population humaine d’un agent pathogène nouveau, à partir d’un réservoir animal ou environnemental, ou à la suite d’une modification génétique d’un agent pathogène existant », connaissent une augmentation constante depuis le début du 20e siècle.
Fait marquant, la proportion des maladies infectieuses d’origine zoonotique, c’est-à-dire transmissibles des animaux vertébrés vers l’humain, a toujours été d’environ 60%. Or, on constate depuis une soixantaine d’années que ce chiffre oscille entre 70 et 75%.
Cependant, dans l’ensemble, ces maladies émergentes n’ont heureusement occasionné que très peu de morts depuis le début du siècle passé (à l’exception notable de la grippe espagnole de 1918 et du VIH), précise Jean-François Guégan, invité à la conférence et directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Zoonoses ?
Une zoonose est donc caractérisée par le passage d’un agent pathogène depuis un animal vers l’humain. On parle de « débordement » lorsque la barrière inter espèce est franchie avec succès.
À noter que ces « succès » sont extrêmement rares et dépendent de plusieurs facteurs. A savoir : la proximité phylogénétique avec l’hôte, les caractéristiques de l’agent (les virus ARN, par exemple, ont des capacités adaptatives et dispersives beaucoup plus importantes) et enfin un contact entre animal et humain.
C’est ce dernier aspect qui est le plus important précise Jean-François Guégan. « Nous sommes aujourd’hui une terre d’élevage. L’énorme réservoir bovin qu’il constitue augmente logiquement les risques de transmission de maladies avec cette espèce (puisque nous côtoyons ces espèces de près et depuis longtemps, NDLA). Dans le futur, le processus de maladie émergente naîtra de nos relations aux espèces que nous domestiquons et de leur quantité. »
Risque n’est pas hasard
Avant de nous intéresser aux différentes causes de ces zoonoses, il est important de faire une distinction entre le risque d’apparition de maladies zoonotiques et la présence d’agents pathogènes dans la nature.
En effet, comme le rappelle le chercheur, le risque épidémiologique n’existe pas tout seul. Pour faire simple, un agent pathogène peut très bien exister dans la nature sans pour autant mettre en danger les êtres humains. Pour que ce risque soit réellement un risque, il faut prendre en compte, en plus des différents agents, le risque d’exposition d’une population à celui-ci, ainsi que sa vulnérabilité.
En effet, une population très souvent en contact avec un nouvel agent pathogène et ayant des problèmes fréquents de malnutrition aura beaucoup plus de risque de se faire infecter qu’une autre population.
La grande majorité des agents pathogènes existants dans la nature ne comporte donc pas de danger direct pour les populations humaines.
Des causes multifactorielles
Si l’émergence de ces nouvelles maladies dépend de toute une série de facteurs, les changements dans l’utilisation des sols semblent avoir un impact particulièrement important sur ces risques d’émergence.
En effet, comme le martèle Jean François Guégan , « Avec la déforestation de la zone tropicale, notamment pour le développement de l’agriculture et de l’élevage, cette modification de l’utilisation des sols entraîne des occurrences de plus en plus importantes d’apparition de maladies infectieuses, dont une très forte proportion est d’origine animale.»
En fait, c’est tout un équilibre que ces changements viennent mettre à mal. Ainsi, ces activités humaines viennent offrir de nouveaux espaces aux agents circulant sous forme enzootique (c’est-à-dire présents dans une aire donnée, ou à un moment donné, de façon stable ou dormante) et augmente leur potentiel de passer la barrière inter-espèces, que cela soit en infectant les élevages ou les êtres humains.
Pour illustrer ce mécanisme, on peut s’intéresser au cas de l’ulcère de Buruli, une maladie causée par la bactérie Mycobacterium ulcerans. Dans le cas de cette maladie, la déforestation entraîne un ensemble de phénomènes en cascade menant à de profonds changements en matière de diversité biologique. Ce faisant, une partie des micro- et macro-prédateurs disparaissent ce qui laisse le terrain libre aux proies qui, elles, sont un excellent support à la prolifération de ces mycobactéries.
Un environnement fragilisé
Bien que la question de l’émergence de ces nouveaux agents pathogènes fasse appel à une myriade de facteurs interconnectés, il apparaît ici que, sans grande surprise, la gestion durable des écosystèmes forestiers et de l’environnement en général, relève de l’impératif.
Car le problème est (au moins) double. En effet, les forêts sont menacées par leur surexploitation, augmentant ainsi la probabilité d’émergence de nouvelles maladies ; mais les forêts elles-mêmes tombent malades à cause de nous. Avec notre commerce mondialisé, plus rapide et plus fréquent que jamais auparavant, nous assistons à une augmentation des pathogènes forestiers invasifs, venant malmener un peu plus ces écosystèmes déjà fragilisés par les activités humaines.
Un double problème donc, faisant appel au besoin, toujours plus pressant, d’agir pour protéger la nature.