Le raton laveur d’Amérique du Nord, une espèce encombrante pour la biodiversité européenne

16 août 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 7 min

Série : Envahissant ! Vous avez dit envahissant ? (1/3)

Avec sa bouille attendrissante, son fin museau chamarré, sa longue queue annelée, ses petites pattes laissant des empreintes similaires à celles de mains d’enfants, le raton laveur a des allures de peluche. Alors que des citoyens l’apprivoisent à coup de gamelles remplies dans le jardin, sa population croît, et menace la biodiversité locale.

Le raton laveur nous vient des Etats-Unis et du Canada, où il est endémique. Dès les années 1930, en prévision de la fabrication de manteaux de fourrure, son beau pelage l’a amené à traverser l’Atlantique pour intégrer des élevages allemands, desquels il a quelquefois pris la poudre d’escampette. Peu craintif et attachant, il a ensuite fait partie des bagages, comme animal de compagnie, de soldats américains logés dans les bases européennes de l’OTAN. En parallèle, il est venu compléter le bestiaire de multiples zoos occidentaux, tandis que d’autres ont été délibérément lâchés dans la nature pour ravir des chasseurs en quête d’exotisme.

Conquête wallonne

Régions naturelles de Belgique

L’animal s’est bien acclimaté à l’environnement européen. Et, au départ de l’Allemagne, il a entrepris de s’étendre dans les pays voisins.

Actuellement, la Wallonie compte de 50.000 à 75.000 ratons laveurs. Cette estimation est le fruit du croisement de différentes observations de terrain. « Les grosses densités de population se situent au sud du sillon Sambre et Meuse, dans les zones forestières. Particulièrement en Lorraine belge et en Ardenne, qui sont les deux régions naturelles qui furent les premières à être adoptées par les ratons laveurs ayant migré d’Allemagne. En Gaume et en forêt de Saint-Hubert, il y en a environ 4 par 100 hectares. Cette densité pourrait augmenter, mais pas exploser », explique Etienne Branquart, premier attaché au sein du DEMNA (Département de l’Etude du milieu naturel et agricole) au sein du Service Public de Wallonie (SPW).

« En Condroz aussi, le raton laveur se fait de plus en plus présent. Par contre, au nord du sillon Sambre et Meuse, se concentrent majoritairement des zones agricoles et urbaines. Les densités de ratons laveurs y sont dès lors actuellement beaucoup plus faibles. Mais on commence à en voir dans les vallées du Geer, de la Dyle. »

A noter toutefois que si le raton laveur préfère les forêts en bordure d’eau, il est tout à fait capable de s’adapter au milieu urbain. En Allemagne, les densités les plus fortes sont d’ailleurs relevées au niveau des villes : 100 ratons par 100 hectares, alors qu’en milieu naturel, il n’y en a que de 2 à 6 par 100 hectares. Une densité urbaine similaire est observée dans l’aire d’indigénat du raton laveur, en Amérique du Nord. Il s’y comporte comme le renard en ville, saccageant les poubelles, se nourrissant dans les gamelles des chiens et chats domestiques.

Un apprivoisement qui tourne mal

Bien que sauvage, son allure sympathique et son caractère avenant incitent les citoyens à le nourrir régulièrement.

« De prime abord, les gens le trouvent sympa, et lui mettent de la nourriture dans le jardin. Il en vient 1 ou 2. Puis 5. Puis 10. Les densités dans les jardins grimpent alors en flèche. Les attaques sur les poules deviennent fréquentes. Assez vite, ils rentrent dans les maisons, notamment par les chatières. Intelligents et très gourmands, ils développent des trésors d’ingéniosité pour accéder à nourriture. Ils ouvrent les frigos, chapardent. Les gens changent alors leur vision sur la bestiole, et crient au secours, car ils ne s’en sortent plus », poursuit le spécialiste du petit carnivore.

« En catastrophe, les services extérieurs du DNF (Département de la Nature et des Forêts) interviennent parfois, de même que les piégeurs de rats musqués de la direction générale, mais ce n’est pas leur mission principale. En parallèle, des privés commencent à se spécialiser dans la destruction des ratons laveurs. C’est tout à fait légal, car l’espèce n’est pas protégée, et peut être détruite. Le règlement européen de 2015 sur les espèces exotiques envahissantes permet, et même incite les états membres à détruire le raton laveur, mais dans le respect du bien-être animal. La mise à mort doit être faite de manière propre, en quelques secondes, sans souffrances. »

Une biodiversité locale mise à mal

Le raton laveur exercerait une certaine prédation sur des espèces protégées et menacées. « On commence à être relativement inquiet par rapport à cela. » Si, aux Etats-Unis, les ratons laveurs sont la proie de pumas, de loups gris, de lynx roux, de martres d’Amérique ou encore de coyotes ; chez nous, au contraire, ils n’ont pas de prédateurs naturels. « Dès lors, si on veut limiter les pots cassés, particulièrement en termes de biodiversité locale, on n’a pas d’autres choix que de réguler les populations de ratons laveurs. Au moins là où il y a des espèces très sensibles menacées par ces nouveaux venus. »

C’est notamment le cas de l’hirondelle de rivages qui fait des galeries dans les sablières. Mais aussi du cincle plongeur, dont les nids installés sous les ponts, le long des rivières, sont de plus en plus régulièrement visités par les ratons laveurs. « Auparavant, ces oiseaux étaient relativement bien à l’abri des prédateurs, mais suite à l’arrivée du raton laveur, ils sont devenus beaucoup plus vulnérables. »

Le raton laveur, fin grimpeur sur toute surface, affectionne les cavités dans les troncs d’arbres. Il s’y rend notamment pour mettre bas et élever ses petits. En moyenne, dès l’âge d’un an, après une gestion de 63 à 65 jours, les femelles ont leur unique portée de l’année. Elles donnent naissance à 2 à 4 petits, dont elles s’occupent seules. Une fois passé leur premier hiver, les jeunes deviennent indépendants. Et s’établissent assez proche de leur lieu de naissance : des études révèlent que 85 % d’entre eux s’en éloignent d’à peine 3 km.

« Le problème, c’est que des cavités dans les arbres, il n’y en a pas foison en forêts. Si elles sont occupées par des ratons pour mettre bas, il n’y a alors plus de place pour les oiseaux cavernicoles. » Dont les populations risquent alors de décliner.

Un risque sanitaire quasi inexistant

Après plusieurs années de pandémie Covid due à une zoonose, une crainte s’éveille quant à la transmission potentielle d’agents pathogènes transportés par les ratons laveurs. Toutefois, celle-ci est très très limitée.

« Dans son aire d’indigénat, en Amérique du Nord, le raton laveur est le principal réservoir de Baylisascaris procyonis, un ver parasite. Celui-ci peut être accidentellement transmis à l’Homme, selon une unique voie de transmission : via les excréments du petit carnivore dans lesquels sont contenus des œufs, très résistants, du parasite. » Les ratons laveurs étant des animaux propres déféquant dans des latrines, ils adorent les bacs à sable. Afin d’éviter toute contamination, le Canada conseille largement de les refermer ou de les couvrir lorsque les enfants n’y jouent pas.

En Europe, c’est en Allemagne que le plus grand nombre de cas de ratons laveurs porteurs de Baylisascaris procyonis est détecté. « Aux Pays-Bas, quelques ratons laveurs porteurs ont été découverts, mais il s’agissait d’animaux importés frauduleusement en Europe depuis l’Amérique du Nord. Quid en Wallonie ? Nos analyses n’ont révélé aucun cas de raton laveur porteur de ce parasite. »

« En l’absence de tout traitement, celui-ci peut causer des dommages importants chez l’Homme. Et peut parfois être mortel. Si le dommage potentiel est très élevé, le risque de contracter le parasite est toutefois extrêmement limité », conclut Etienne Branquart.

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