Qui était le loup juste avant qu’il ne soit massacré au 19e siècle ? Etait-il plus massif ou plus petit que le loup présent aujourd’hui dans notre pays ? Où et comment vivait-il ? D’où venait-il ? Ces questions, Julie Duchêne s’attelle à y répondre dans le cadre de sa thèse de doctorat sur l’Histoire du loup en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg du 18e au 20e siècle, menée à l’UNamur. Afin de pallier l’absence ou le silence des sources écrites, elle a, notamment, recours à la paléogénétique. Autrement dit à l’analyse de l’ADN ancien.
Ce sont deux oreilles, estampillées comme lupulines, conservées dans les archives de l’État à Liège, qui ont ouvert cette voie. Selon leur enregistrement, elles proviennent de deux animaux mâles adultes tués, l’un à Tallier, l’autre à Aywaille, en 1807. Et correspondent chacune à une preuve remise à l’époque pour l’obtention d’une prime à l’abattage.
« Durant la période française (1792-1815), l’Etat avait mis en place un plan national de régulation des loups, notamment via l’octroi de primes pour encourager leur chasse. Pour éviter qu’un même loup soit présenté plusieurs fois dans le but de recevoir plusieurs primes, les autorités coupaient une oreille sur la dépouille », explique Julie Duchêne lors du colloque « Lacunes et fragments de l’Antiquité à nos jours. Problèmes et solutions » qui s’est tenu à l’UNamur.
« La conservation de ces deux oreilles est exceptionnelle. Elle est même unique en Belgique, car dans la plupart des cas, la preuve matérielle n’était pas destinée à être conservée. Ces oreilles sont un témoignage de ce système administratif. »
Un ADN peu abondant et fragile
Mais ces oreilles, ont-elles vraiment appartenu à des loups ? C’est que la confusion avec de grands chiens est aisée. L’historienne voulait en avoir le cœur net. Comme l’examen physique seul des oreilles ne permet pas de déterminer l’espèce à laquelle elles appartiennent, l’idée a germé de faire parler l’ADN qu’elles contiennent.
L’analyse de cet ADN ancien s’est révélée être un défi technique. Suite à la mort d’un individu, une partie de son ADN se dégrade naturellement, la concentration diminue donc drastiquement. Il peut aussi avoir été contaminé par de l’ADN extérieur, celui des chasseurs ou des membres de l’administration de jadis qui ont tenu les oreilles à mains nues, le nôtre ou encore celui de bactéries présentes dans l’environnement. De quoi risquer de fausser les résultats de l’analyse. »
Des loups de la péninsule ibérique
Malgré ces difficultés, l’ADN des deux oreilles a été analysé en juin 2022 par e-Biom, spin-off de l’UNamur.
Sur chaque oreille, une petite quantité de cartilage et quelques poils ont été prélevés en plusieurs endroits. Cela représente quelques milligrammes de tissu. Les scientifiques ont veillé à ce que les prélèvements soient les plus discrets possibles visuellement parlant.
Pour éviter au maximum le risque de contamination, plusieurs mesures ont été mises en place. « Le laboratoire a été privatisé pendant toute la durée de l’analyse. La zone de travail et le matériel ont été décontaminés, notamment par UV. Et les prélèvements ont été réalisés sous une hotte stérile », précise la doctorante FRESH/FNRS.
Presque tous les sous-échantillons contenaient une quantité d’ADN suffisante, voire même supérieure aux attentes. De quoi confirmer sans hésitation que les deux oreilles appartenaient bien à des canidés de l’espèce Canis lupus lupus. Autrement dit, des loups.
« Les résultats ont même offert une surprise supplémentaire. Grâce à la bonne qualité de l’ADN, l’équipe a poussé un peu plus loin l’analyse de ses séquences. Et a pu avancer que les loups étaient originaires de la péninsule ibérique. Voire plus précisément du Portugal. »
Analyses taxidermiques
Sur base de ces résultats encourageants, il a été décidé de poursuivre et d’étendre ce projet. Des analyses paléogénétiques complémentaires sur les deux oreilles détermineront le sexe des deux loups et confirmeront l’hypothèse d’origine géographique. « Et, par extension, renseigneront sur les connexions entre les différentes populations de loups. »
Dans les prochains mois, les analyses paléogénétiques devraient concerner de nouveaux spécimens. En effet, parmi les loups abattus en Belgique au XIXe siècle, certains ont été empaillés. Un recensement a d’ores et déjà été fait à travers les différents musées belges. Outre le passage au crible de leur ADN, ils seront mesurés sous toutes les coutures. Et ce, afin de déterminer si leur morphologie était similaire ou différente de celle des loups qui vivent actuellement dans notre pays. Et par là, d’en déduire leur comportement.