Pour enseigner plus efficacement et lutter contre l’échec scolaire, le chercheur Joseph Stordeur passe au crible des neurosciences les théories qu’il a enseignées dans son parcours de formateur. Aux éditions De Boeck dans «Comprendre, apprendre, mémoriser», l’ancien maître assistant à la Haute école catholique Charleroi-Europe porte un regard critique sur des innovations imaginées depuis 40 ans pour révolutionner l’enseignement. Après avoir détaillé le fonctionnement du cerveau, il sélectionne des pratiques plus pertinentes pour ces trois processus. Il propose aussi des activités axées sur la maîtrise de la langue à l’école maternelle et primaire. Leurs caractéristiques: suivre le cheminement des enfants. Ne pas s’enfermer dans des séquences de 25 à 50 minutes.
Chercheurs et enseignants dos à dos
«Entre ce qu’un courant théorique développe, calfeutré dans sa tour d’ivoire universitaire, par exemple, et ce que ce courant amène concrètement sur le terrain, il y a une marge tellement grande que tout ce qui peut être dit est inaccessible aux uns comme aux autres», observe le spécialiste de l’aide aux élèves en difficulté d’apprentissage.
«De la part des chercheurs, ce ne sont pas quelques visites ou quelques essais, souvent surpréparés, qui peuvent leur donner une idée de la classe au jour le jour. Et du côté des enseignants, ce ne sont pas leurs deux à trois jours de formation, petite parenthèse dans la course quotidienne de leurs nombreuses tâches, qui peuvent leur apprendre à bien maîtriser les nuances d’une théorie. Nos critiques portent donc sur les réalisations concrètes de telle ou telle théorie dans le quotidien».
Proche de la réalité vécue dans les classes, l’orthopédagogue parle d’un point de vue pratique. Il s’attaque à la pédagogie par objectifs qui rendrait souvent la compréhension plus difficile en découpant la réalité en tranches sans signification suffisante.
Il s’en prend à la pédagogie du projet qui éveille l’envie de savoir, met en évidence les compétences acquises. Mais laisserait rarement le temps nécessaire à l’apprentissage, aux répétitions.
Bienfait des répétitions
Joseph Stordeur souligne l’importance des astrocytes. Ces cellules du système nerveux, de forme étoilée, auraient la capacité de décrypter et de transmettre des informations d’un bout à l’autre du cerveau. Elles assureraient la coordination générale des apprentissages. Elles seraient nécessaires à la construction des traces mémorielles.
À l’école, les périodes de 25 à 50 minutes de cours empêcheraient certains élèves d’avoir les sollicitations suffisantes pour construire des débuts de traces. Ces enfants ont compris, mais ne s’en sortent pas quand ils font leurs devoirs à domicile. Seules des répétitions, avec quelques variations, permettraient la construction de traces sérieuses. Éviteraient démotivation, décrochage.
En maternelle, l’habitude de changer souvent d’activité et de contenu empêcherait des bambins d’acquérir le vocabulaire indispensable pour affronter l’école primaire. La recherche montre que le rapport entre réussite scolaire et maîtrise du vocabulaire est de quelque 70%.
«Notre cerveau apprend la langue essentiellement par rencontres statistiquement importantes», relève le chercheur. «Ce qui signifie que ce sont les mots entendus et utilisés le plus souvent par l’environnement qui peuvent être perçus. Peu à peu compris et enfin utilisés. D’après les recherches d’Alain Lieury, professeur émérite de psychologie cognitive à l’Université de Rennes 2, l’enseignement fondamental utilise environ 9.000 mots. Les enfants qui entrent à l’école avec plus ou moins les 500 mots les plus courants sont tout de suite en difficulté».
Danger de la remédiation
La remédiation résoudrait les difficultés d’apprentissage…
«Le concept, tel qu’il est généralement utilisé, est un concept dangereux parce qu’il présente l’enfant, l’apprenant, comme un puzzle dont il faut remplir les trous. Et il est indispensable de les remplir au fur et à mesure que l’on constate des trous par rapport à un programme matière découpé en pièces et présenté linéairement. Or la complexité neuronale ne peut s’accommoder de cette conception. Apprendre, c’est toujours, au niveau neuronal, mobiliser un ensemble de processus en interaction. Proposer une rééducation sur un aspect manquant ne peut apporter des résultats sur le long terme. Nous le constatons tous les jours».