Grand-Place de Bruxelles

Économie collaborative: 45% des logements Airbnb à Bruxelles sont des lits d’investisseurs et de professionnels

16 septembre 2021
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

La crise sanitaire et les confinements ont empêché les chercheurs du projet AirBRU de mener leurs travaux aussi rapidement qu’ils le souhaitaient. Cependant, une première série de chiffres leur permet déjà de mieux cerner la réalité du marché de la location collaborative de logements de courte durée dans la capitale.

« De nos données relatives à l’année 2019, dernière année complète à ne pas avoir été marquée par les effets de la pandémie liée au coronavirus, il ressort que près de la moitié des logements Airbnb à Bruxelles ne relèvent pas de l’économie partagée collaborative », indique la Pre Sylvie Gadeyne, du groupe de recherche Interface Demography de la VUB (Département de sociologie). « Une information qui devrait intéresser le pouvoir politique », précise la copromotrice de cette recherche.

Le projet est financé par Innoviris, l’Agence de financement de la Recherche et de l’Innovation de la Région de Bruxelles-Capitale. AirBru est également soutenu par l’Institut régional de statistique.

Une certaine philosophie, des opportunités et des risques

La Région de Bruxelles-Capitale n’échappe pas au développement des plate-formes collaboratives dédiées au logement temporaire. « Souvent présentées comme une alternative aux hôtels et autres types de logements commerciaux, ces plate-formes collaboratives veulent notamment promouvoir une image alternative du tourisme auprès du public. Pour celui ou celle qui met tout ou une partie de son logement à disposition de voyageurs de passage, il s’agit bien sûr d’une possibilité de gains complémentaires. Pour le voyageur, c’est la perspective de découvrir une ville autrement qui est mise en avant.

« Le marché des locations de courte durée offre donc des opportunités économiques. Mais il présente aussi certains risques. Notamment en mettant la pression sur la disponibilité et, donc, sur les prix des logements pour les Bruxellois.  C’est pour mieux cerner cette problématique que le projet AirBRU a été lancé. »

« Le problème en ce qui concerne nos travaux est qu’Airbnb ne diffuse pas les données qui nous intéressent directement», reprend la Pre Gadeyne. « Nous avons donc dû avoir recours à une source alternative. L’entreprise américaine AirDNA  s’est spécialisée dans le « webscraping » (technique d’extraction du contenu de sites Web, via un script ou un programme, NDLR). Nous lui avons acheté les données qu’elle avait pu collecter concernant les activités d’Airbnb en Région bruxelloise. »

11.427 logements sur Airbnb en 2019

Ces données sont anonymes et la localisation des logements concernés n’est précise qu’à une échelle de 150 mètres. Néanmoins, les chercheurs ont pu en tirer de premiers résultats. Il ressort qu’en 2019, ce sont 11.427 logements de la Région de Bruxelles-Capitale qui ont été proposés sur la plate-forme Airbnb.

« Nous avons réparti ces logements et leur fréquence d’utilisation en trois catégories », précise la Pre Gadeyne.

– Ceux mis en location par de véritables « amateurs », c’est-à-dire des logements qui ne sont loués que maximum 120 jours par an et qui, le reste du temps, sont occupés par les propriétaires ou le(s) habitant(s) habituel(s).

– Les logements d’investisseurs. Il s’agit ici de lieux loués plus de 120 jours par an. On retrouve également dans cette catégorie des personnes qui mettent deux logements distincts sur le marché locatif temporaire bruxellois.

– Enfin, dans la dernière catégorie, nous reprenons les « professionnels ». Il s’agit ici de personnes mettant trois unités de logement ou plus en location via la plate-forme Airbnb.

« En moyenne, l’ensemble de ces logements a été loués pendant 159 jours en 2019 », précise le professeur Pieter-Paul Verhaeghe, co-promoteur de cette étude et sociologue à la VUB.

Nombre de logements Airbnb par 100 ménages à Bruxelles en 2019 © AirBRU

Zones touristiques et quartier européen

Autre constat: les logements Airbnb sont fortement concentrés dans la zone touristique bruxelloise autour de la Grand-Place et du théâtre de la Monnaie. Un autre lieu de concentration se situe dans les environs des institutions européennes, dans les quartiers Léopold et Schuman. On retrouve également une certaine concentration de ces logements dans le quartier de l’Atomium.

En pourcentage, il ressort de cette étude qu’environ 34 % des hôtes ne proposent qu’occasionnellement en location une pièce de leur maison ou de leur appartement, et non la totalité du logement. 21% offrent leur maison entière, mais pour moins de 120 jours par an (par exemple, les expatriés qui sont à l’étranger ou les personnes qui voyagent).

Environ 16 % du marché bruxellois est constitué d’acteurs professionnels proposant trois maisons ou appartements ou plus en location de courte durée. « 32 hôtes proposent même 10 appartements ou plus en même temps sur Airbnb », ajoute le professeur Pieter-Paul Verhaeghe. « Ce sont précisément ces propriétés qui sont les plus concentrées dans l’Îlot Sacré et à proximité des institutions européennes. »

Par ailleurs, 29 % du marché est constitué d’investisseurs. « Nous soupçonnons qu’il s’agit de personnes qui possèdent une deuxième ou une troisième maison comme investissement et qui proposent cette maison sur le marché lucratif d’Airbnb. Ils ne vivent certainement pas eux-mêmes dans ces maisons », estime l’économiste Marek Endrich.

« La distance par rapport au centre-ville et le nombre de restaurants dans le quartier semblent être les éléments prédicteurs les plus forts de la présence d’Airbnb dans un quartier », analyse Marek Endrich. « Plus on s’éloigne de la Grand-Place et moins il y a de restaurants dans le quartier, moins on retrouve de logements proposés sur Airbnb ».

Atomium © Christian Du Brulle

Un marché résidentiel sous pression

« En résumé, seule la moitié des « hôtes » répondent à la philosophie initiale d’Airbnb, à savoir « l’économie du partage », indiquent les chercheurs.

« Nous souhaitons étudier quelles sont les conséquences de cette situation sur l’offre et les prix de location sur le marché local du logement », indique encore le professeur Verhaeghe. « Plus de 5.000 logements de la Région bruxelloise sont proposés aux touristes et aux voyageurs d’affaires par des professionnels et des investisseurs sur Airbnb. C’est-à-dire 5.000 logements qui ne sont pas disponibles sur le marché pour les résidents bruxellois ».

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