Moustique du genre Anopheles, vecteur du parasite responsable du paludisme, qui prend un repas de sang sur un humain - domaine public

A Malines, les sépultures révèlent l’histoire de la propagation de la malaria

16 septembre 2024
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

D’où vient le paludisme, maladie aussi appelée malaria ? Comment s’est-il propagé sur la planète au cours des 5500 ans dernières années ? Pour répondre à ces questions, et retracer l’histoire évolutive de cette maladie parasitaire, l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste à Leipzig (Allemagne) s’est entouré de chercheurs provenant de 80 instituts de par le monde. L’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique a fait partie de l’aventure. Et de façon majeure. En effet, l’étude de squelettes enfouis au cimetière Saint-Rombaut de Malines a permis d’identifier la guerre et le déplacement de troupes méridionales comme un catalyseur de la dispersion du paludisme en Europe. Les autres acteurs majeurs sont le commerce et le colonialisme.

Le palu, encore présent en Europe il y a un siècle

Le paludisme tue 600.000 personnes chaque année sur la planète. Malgré des efforts majeurs de contrôle et d’éradication, près de la moitié de la population mondiale vit encore dans une région où elle risque de contracter cette maladie infectieuse. Elle est transmise par la piqûre de moustiques Anopheles infectés par une des espèces de parasites unicellulaires Plasmodium. Plasmodium Falciparum est le plus virulent d’entre eux.

Si le paludisme est aujourd’hui une maladie tropicale, elle était endémique sur la moitié de la planète il y a un siècle ! On en retrouvait en Suède, en Norvège, en Finlande, en Sibérie, dans le sud du Canada.

« Le paludisme a été éliminé d’Europe en 1975 grâce à des conditions socio-économiques plus favorables, à des systèmes d’irrigation et d’évacuation plus efficaces, à l’adoption de nouvelles méthodes agricoles et de nouveaux comportements (notamment l’utilisation massive de l’insecticide DDT, NDLR) ainsi qu’à l’accès aux soins de santé de meilleure qualité », mentionnent les Nations-Unies.

ADN de pathogènes dans les dents

Pour retracer l’histoire de la propagation de cette maladie parasitaire, il faut analyser le passé. Un site de choix est le cimetière jouxtant le tout premier hôpital permanent d’Europe, construit à Malines au 16e siècle. Il a fonctionné de 1567 à 1715, tandis que dans le cimetière Saint-Rombaut, les dépouilles étaient enterrées depuis déjà plusieurs siècles. Ce haut site de l’archéologie a livré pas moins de 4000 squelettes humains datés du 10e au 18e siècle.

Quarante d’entre eux ont été examinés dans le cadre d’une étude de très grande ampleur dirigée par l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive. Dix avaient contracté le paludisme de leur vivant. Cette révélation a été faite grâce à des analyses ADN.

En effet, il a été récemment découvert que les dents humaines peuvent préserver, dans leur canal radiculaire, des traces de l’ADN des agents pathogènes présents dans le sang de la personne au moment de la mort. De quoi accéder à des informations sur les maladies inaccessibles par d’autres méthodes archéologiques.

En provenance du Sud de l’Europe

« Nous avons trouvé deux preuves d’infection par Plasmodium vivax, un type de paludisme qui peut survivre dans un climat tempéré et plus froid, dans les dents de défunts enterrés entre le 12e et le 14e siècle, soit avant l’existence de l’hôpital militaire », explique Katrien Van de Vijver, sur le site de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique. Cette anthropologue mène des recherches archéologiques au cimetière Saint-Rombaut de Malines depuis de nombreuses années.

Du 15e au 16e siècle, soit après l’édification de l’hôpital militaire, huit cas de paludisme ont été trouvés : deux du type Plasmodium vivax et six du type Plasmodium falciparum. Cette dernière est une variante bien plus virulente, qui prospérait alors dans le pourtour méditerranéen. Mais qui, à cette époque, n’était pas endémique dans les régions au nord des Alpes.

L’origine des individus porteurs de Plasmodium falciparum a été reconstruite grâce aux méthodes de la génétique des populations. Résultat ? Tous étaient des hommes non locaux de diverses origines méditerranéennes. Il s’agissait probablement de soldats recrutés dans le nord de l’Italie, en Espagne et dans d’autres régions du sud de l’Europe pour combattre dans l’armée de Flandre des Pays-Bas espagnols pendant la guerre de Quatre-Vingts Ans (aussi appelée révolte des Pays-Bas). Elle s’est déroulée de 1568 à 1648.

Importation de pathogènes en Belgique

« Les mouvements de troupes à grande échelle ont joué un rôle important dans la propagation du paludisme au cours de cette période de l’histoire», explique Pr Alexander Herbig, chef du groupe de la pathologie computationnelle au Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology.

Il voit un parallèle avec les cas de paludisme contractés à l’étranger et importés dans l’Europe tempérée d’aujourd’hui. « À l’heure de la mondialisation, les voyageurs infectés ramènent les parasites du Plasmodium dans des régions où le paludisme est éradiqué depuis plusieurs années. Cela est inquiétant, car les moustiques capables de transmettre ces parasites peuvent se trouver sur ce territoire et conduire à des cas de transmission locale. »

« Bien que le paysage de l’infection par le paludisme en Europe soit radicalement différent aujourd’hui de ce qu’il était il y a 500 ans, nous voyons des parallèles dans la manière dont la mobilité humaine façonne le risque paludique», conclut-il.

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