Détail de Dacus chrysomphalus © MRAC
Détail de Dacus chrysomphalus © MRAC

Avec Digit-03, l’exploration scientifique devient virtuelle

16 octobre 2017
par Céline Husson
Durée de lecture : 7 min

 

Didier Van den Spiegel, directeur du département de gestion des collections et des données biologiques du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), fait nonchalamment tourner un coquillage entre ses doigts. Sacrilège? La coquille d’Achatina fulica fulica, de forme allongée et de couleur brune,  est en réalité une reproduction 3D agrandie d’un spécimen faisant partie de la collection de malacologie du Musée.

 

« Depuis 2014, BELSPO, la Politique scientifique fédérale belge, a mis en place un projet de numérisation des collections des dix établissements scientifiques fédéraux : le projet DIGIT-03 », explique-t-il. « Son but: valoriser et diffuser les collections. Comme c’est le cas de celles du Musée royal de l’Afrique centrale ».

 

Numériser pour préserver

 

Depuis que les musées scientifiques existent, tous les gestionnaires de collections le savent: sortir un spécimen de sa boîte ou de son bocal et le manipuler pour l’étudier, c’est l’exposer à un dommage irréversible. « Une mouche de quelques millimètres qui est sortie de sa boîte est extrêmement fragile. Le moindre choc peut la casser », explique le Dr Van den Spiegel. 

 

Pourtant, la manipulation, ou tout du moins l’observation des spécimens, sont des étapes essentielles dans l’accumulation des connaissances scientifiques. La solution ? Réaliser des images en haute résolution de ces pièces afin d’en permettre l’étude approfondie. 

 

« Nous avons créé une cellule de numérisation de haute qualité, qui produit des images en 2D et en 3D », précise le scientifique. Cette cellule de numérisation est commune à deux établissements scientifiques fédéraux : le MRAC et l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB).

 

« Le but est d’avoir suffisamment d’informations et d’éviter d’envoyer ce délicat matériel dans d’autres instituts de recherche. Quand on ne dispose que d’un seul holotype, le spécimen qui a été utilisé pour décrire une espèce, nous préférons ne pas le faire voyager ». 

 

Atelier de numérisation du MRAC © Céline Husson
Atelier de numérisation du MRAC © Céline Husson (Cliquer pour agrandir)

 

L’expédition de matériel expose non seulement celui-ci à la dégradation (destruction naturelle) ou à la déprédation (humaine ou animale) mais occasionne également un coût important. « Quand on prête un spécimen, on est obligé de contracter une assurance, de rédiger un contrat, etc. « Cela génère un gros travail administratif », dit-il. « Avec les  images numériques, on évite ce surcroît de travail ».

 

Plus qu’une simple photographie

 

La technologie utilisée pour réaliser ces images en très haute définition a été développée par des scientifiques du MRAC. Un bel avantage : elle est très peu coûteuse, moins de 5.000€ pour un équipement complet. 

 

« Cela nous permet de photographier aussi bien des spécimens de quelques millimètres, que des grands spécimens. Toute la profondeur de champ est respectée, ce qui donne des clichés superbes. La résolution est parfaite », explique Didier Van den Spiegel.

 

Balacra rubricincta © MRAC
Balacra rubricincta © MRAC (Cliquer pour agrandir)

 

Pour chaque spécimen, l’équipe responsable de la numérisation réalise une photographie en 2D. Elle y joint toutes les informations utiles: taille, poids, date et lieu de récolte, emplacement précis de rangement, etc. 

 
Les spécimens qui ont permis la description de l’espèce (les types) et ceux de plus de deux centimètres sont placés sur une plaque tournante. Un appareil photographique en prend alors entre 80 et 160 images. Elles sont ensuite assemblées par ordinateur. C’est ce qui génère l’image 3D. Dans le jargon, on parle de photogrammétrie.

 

Imprimante 3D de l’atelier de numérisation du MRAC © Céline Husson
Imprimante 3D de l’atelier de numérisation du MRAC © Céline Husson

 

Grâce au Micro CT-Scan, les organes internes des spécimens sont également accessibles

 

Les chercheurs du monde entier qui ont accès à ces photographies via un site internet sont très positifs. « Grâce à la photogrammétrie, ils peuvent réellement travailler avec un spécimen. Il faut savoir que pour bien pouvoir étudier un mollusque, par exemple, il faut l’orienter d’une certaine manière. Le fait d’avoir une image en 3D permet une orientation scientifique du spécimen et donc d’obtenir toutes les informations nécessaires, sans avoir le spécimen devant soi ! » Ce recours aux clichés permet également aux scientifiques un gain de temps appréciable.

 

 
L’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique, avec lequel le Musée Royal de l’Afrique Centrale partage le personnel attaché à la cellule de numérisation, dispose en outre de la technologie Micro-Computed Tomography (Micro-CT). 

 

Elle permet d’imager les volumes internes des spécimens, en plus des volumes externes obtenus par les photographies réalisées sur plaque tournante. Ce « Micro-CT scan » enregistre les données sous forme de coupes. Des coupes qui sont ensuite recomposées par ordinateur pour donner la structure en volume.

 

« Cette technologie permet, par exemple, de comparer des cavités crâniennes entre espèces. Les possibilités supplémentaires induites par cette technologie sont donc énormes pour la recherche scientifique », explique le Dr Van den Spiegel. Toutefois, le développement d’une base de données d’une telle ampleur demande beaucoup de temps et un espace de stockage très important.

 

Un outil d’éducation perfectionné

 

En plus des avantages importants apportés à la recherche, cette technologie permet d’obtenir des outils pédagogiques d’une très grande précision : des impressions 3D.

 

Achatina fulica © CC Wikimedia
Achatina fulica © CC Wikimedia

Les objets produits sont bluffants de mimétisme. « Ici, l’achatine est brut de décoffrage. On voit encore les marques de l’impression, mais une fois peint et travaillé (limé), on ne voit plus rien », explique Didier Van den Spiegel en manipulant l’impression 3D de l’achatine.

 

Reproduction 3D brute d’une Achatina fulica fulica © MRAC
Reproduction 3D brute d’une Achatina fulica fulica © MRAC

Dans une pièce voisine, on retrouve un léopard, donné au Musée par un chasseur kenyan. Son crâne sera « microscanné » et imprimé en 3D, à taille réelle. Sa copie sera ensuite mise à disposition des ateliers pédagogiques de la future exposition permanente (prévue pour juin 2018) où les visiteurs pourront la toucher et en prendre connaissance sous tous les angles. 

 

Ces impressions ne seront pas utilisées en remplacement des spécimens originaux dans la nouvelle exposition permanente. Car l’objectif d’un musée est avant tout de pouvoir montrer des collections, parfois historiques, afin d’éduquer et de sensibiliser. Les remplacer par des copies ne présenterait que peu d’intérêt.

 

Les prémices d’un projet de grande ampleur

 

Pour l’instant, parmi les collections du MRAC, seule celle des mollusques a été entièrement numérisée de cette manière. Pour l’instant, un nombre limité de départements du MRAC bénéficie de cette technologie, Didier Van den Spiegel ambitionne de l’étendre à tous. 

 

Biomphalaria stanleyi stanleyi © MRAC
Biomphalaria stanleyi stanleyi © MRAC (Cliquer pour agrandir)

 

Il existe déjà des projets européens ont l’objectif est de rassembler toutes les données scientifiques des instituts de recherche européens. « Un visiteur qui se renseignerait sur les masques du Bakongo pourra constater qu’il y en a un certain nombre au MRAC, ou ailleurs, et cela sera directement lié à nos bases de données », explique le responsable des collections du MRAC.

 

Pour lui, c’est clair, ce genre de projets constitue le futur des collections. Numériser pour rendre accessible le plus rapidement et le plus complètement possible. 

 

Mais une petite ombre au tableau : « Il existe énormément d’initiatives du même genre, méconnues, qui ne se rencontrent jamais. BELSPO est en train de mettre sur pied une plateforme de type « cloud » destiné à la préservation à long terme des données de numérisation issues du projet DIGIT-03, mais chaque institution gère ses données de son côté. » Il déplore ainsi un manque d’organisation au niveau supérieur qui ralentit le développement des projets et divise les budgets alloués.

 

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