Modèle 3D de l’ichthyosaure Eurhinosaurus longirostris, du Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris), avec indication des différentes mesures utilisées dans l’étude © Valentin Fischer / Evolution & Diversity Dynamics Lab / ULiège

Un seul os suffit pour mesurer un reptile préhistorique

16 décembre 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Il désormais possible d’estimer de façon robuste la taille d’un reptile marin préhistorique à partir d’un seul de ses os. Le Pr Valentin Fischer et son équipe de l’EDDy Lab (Evolution & Diversity Dynamics Lab) (ULiège) ont élaboré des équations établissant des corrélations entre différents os et la longueur totale de ces grands prédateurs de l’ère des dinosaures. De quoi mieux comprendre leur écologie, mais aussi leur extinction.

Des ossements dispersés

Les reptiles marins du passé sont massifs et riches en chair. Après leur mort, leur carcasse finit au fond des mers où elle sert de nourriture à de nombreux petits charognards qui dispersent ainsi leurs restes.

« C’est pour cette raison, entre autres, que, pour de nombreuses espèces, nous ne disposons que de fragments, rarement du squelette complet. Cela représente un véritable défi pour la communauté scientifique et conduit souvent à des estimations de taille très variables, parfois exagérément grandes », explique d’emblée le paléontologue.

Valentin Fischer et son équipe se sont concentrés sur les nageurs pélagiques du Mésozoïque, des reptiles marins propulsés par leur queue qui ont vécu entre 252,2 millions d’années à 66 millions d’années avant notre ère. Ces animaux se répartissent en trois grands groupes — que la taxonomie linnéenne classique qualifierait de superfamilles —, distincts par leur morphologie : les ichthyosaures, les mosasaures et les crocodiliens marins.

Du fragment à l’animal

Pour chacun de ces groupes, rassemblant chacun plusieurs espèces à morphologie proche, les chercheurs ont identifié un ou plusieurs os dont la taille pouvait être reliée à la longueur totale de l’animal.

Afin d’établir une corrélation, ils ont réalisé des analyses de régression linéaire – méthode utilisée en statistique pour comprendre la relation entre une variable indépendante (la longueur des os) et une variable dépendante (la longueur totale) -. Et ce, à partir de vingt-trois mesures sur chaque squelette : longueur du tronc, dimensions des vertèbres, de l’humérus, des nageoires, etc. Chaque mesure correspondait à un os différent.

« Chez les mosasaures, par exemple, il existe une relation spécifique entre la taille de leurs vertèbres et leur longueur totale. La taille de leur orbite est également un bon indicateur. »

Des os fréquemment retrouvés

Par chance, les os qui permettent de prédire la taille totale de l’animal figurent parmi ceux retrouvés le plus souvent. « Il n’est pas rare que des promeneurs découvrent une vertèbre isolée d’un ancien reptile marin sur une plage, que ce soit près du Cap Blanc-Nez ou sur les côtes anglaises. Or, les vertèbres constituent généralement d’excellents indicateurs de la taille totale de l’animal. »

A noter que déterminer à quel groupe appartient un os est relativement simple. En effet, ces clades de reptiles se sont différenciés il y a très longtemps, accumulant au fil du temps d’importantes différences morphologiques qui servent aujourd’hui d’indices précieux pour les identifier à partir de leurs ossements. Par ailleurs, il existe d’importantes différences morphologiques entre les animaux marins — soumis à la poussée d’Archimède — et les animaux terrestres. Dès lors, impossible de confondre leurs ossements.

Un seul spécimen complet par espèce

Au total, les chercheurs ont étudié 75 espèces de reptiles marins anciens, soit 75 squelettes mesurés sous toutes les coutures. Bien qu’ils disposaient parfois de plusieurs spécimens pour une même espèce, ils ont choisi de ne conserver que le plus complet et le mieux préservé afin d’éviter tout biais dans les résultats.

« Pour certaines espèces, nous avions plusieurs squelettes, alors que, pour d’autres, un seul. Si nous avions inclus tous les individus disponibles, les espèces les mieux représentées auraient eu un poids disproportionné dans la régression. Pour garantir que chaque espèce contribue de manière équitable à l’analyse, nous n’avons donc retenu qu’un seul squelette complet par espèce. »

Caractériser les extinctions du passé

Estimer avec davantage de précision la taille des reptiles marins anciens, qu’est-ce que ça apporte ? « La taille en elle-même ne m’intéresse pas vraiment. Elle va surtout nous servir à estimer la masse de l’animal, et donc ses besoins énergétiques — des éléments essentiels pour comprendre son écologie », explique Pr Fischer.

Le risque d’extinction d’une espèce est notamment lié à ses besoins énergétiques. « Lorsqu’on examine les extinctions passées, on observe souvent que les grands reptiles sont plus fortement touchés que les plus petits. Mais à l’inverse, les espèces de très petite taille peuvent être affectées même par de légères fluctuations de l’environnement. Il existe donc des plages de taille qui offrent une certaine protection face aux changements climatiques, principalement en fonction de la capacité de l’espèce à diversifier son alimentation », explique le paléontologue.

Connaître la taille des reptiles marins permettra de mieux caractériser les extinctions du passé. Et de déterminer si certains épisodes climatiques ont éliminé préférentiellement certaines gammes de taille ou certains types de morphologie.

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