Bâtir un futur pour les femmes et les enfants victimes de violences sexuelles

17 février 2023
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“Faire face à l’inhumain – Autour du docteur Denis Mukwege”, par Véronique De Keyser et Adélaïde Blavier. Presses universitaires de Liège. VP 22 euros

En République démocratique du Congo (RDC), à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, l’hôpital du quartier Panzi accueille chaque jour des victimes de violences sexuelles. En 20 ans, l’hôpital général de référence, fondé par le chirurgien-gynécologue Denis Mukwege, a traité environ 60.000 survivantes dans une région où le viol est utilisé comme arme de guerre.

En 2018, à l’occasion de la remise du titre de docteur honoris causa au médecin, prix Nobel de la paix, l’ULiège crée la Chaire Mukwege contre la violence à l’égard des femmes et des enfants en période de conflit. Une idée venue lors des rencontres à Panzi entre la psychologue Véronique De Keyser et «l’homme qui répare les femmes».

Les Presses universitaires de Liège éditent «Faire face à l’inhumain – Autour du docteur Denis Mukwege». Une suite au premier congrès international de la Chaire Mukwege qui s’est tenu à Liège en 2019. Publiée sous la direction de Véronique De Keyser, professeure extraordinaire émérite à l’ULiège. Et de la Pre Adélaïde Blavier, directrice du Centre d’expertise en psychotraumatisme et psychologie légale.

Des crimes banalisés

«Les violences sexuelles à l’égard des femmes existent partout. Et elles ne constituent pas l’apanage de la RDC», souligne le Dr Mukwege. «En tant que gynécologue à la tête d’un hôpital spécialisé dans le soin des blessures causées par viol, j’observe toutefois que des formes de violence particulièrement extrêmes sévissent dans mon pays. À l’égard des femmes mais aussi des enfants.»

«Témoigner de ces violences aujourd’hui est d’autant plus important qu’elles semblent banalisées», constate le militant des droits de l’homme. «Autrefois limitées aux zones en conflit ou aux carrés miniers, elles prolifèrent désormais dans les habitations et les rues.»

Encouragé et inspiré par la résilience des survivantes, l’hôpital de Panzi développe une approche centrée sur la victime. Une prise en charge globale avec un centre à guichet unique reposant sur la coordination de 4 piliers. Médical, psychologique, juridique et socio-économique.

«Au-delà de la réparation physique, ce que nous visons c’est aussi la reconstruction psychologique et sociale», précise le pasteur chrétien évangéliste pentecôtiste. «Nous souhaitons que les patientes sortent de l’hôpital en ayant repris confiance en l’avenir et en ayant retrouvé le sourire. Parce que ce sourire, c’est notre récompense. C’est grâce à lui que nous trouvons la force de continuer ce travail.»

Des fillettes de moins de 10 ans sont violées

Le nombre de viols de fillettes de moins de 10 ans a doublé ces dernières années en RDC. À Bukavu, depuis 2016, l’ASBL belge «Les Enfants de Panzi et d’Ailleurs» (EPA), cofondée par l’ancienne députée européenne Véronique De Keyser, soutient psychologiquement une centaine de fillettes violées. Dans un contexte post-conflit marqué par la stratégie de terreur accompagnant l’exploitation illégale de coltan. Un minerai utilisé notamment dans les téléphones mobiles et les ordinateurs portables.

Une thérapie par le jeu s’est imposée à l’ASBL. «Celle-ci convient à de très jeunes enfants, même à un stade préverbal», racontent la psychologue Véronique De Keyser et la psychiatre Muriel Salmona. «Différents éléments lui ont été ajoutés. Des visites de psychoéducation des mères, de la relaxation, de la méditation et des techniques cognitivo-comportementales. Comme la désensibilisation et la reprogrammation par des mouvements oculaires.»

Dévier la trajectoire du destin

Ces ajouts favorisent la création d’une bulle de sécurité virtuelle compensant la sécurité ressentie à l’hôpital de Panzi. Et la mise en confiance dans une fenêtre de tolérance où la victime peut gérer ses états affectifs.

«Pour EPA, la scolarisation des victimes, leur approche des nouvelles technologies, leur apprentissage des langues étrangères, des arts, le choix d’un métier – tout ce qui est proposé comme projet aux enfants occidentaux – ne peut leur demeurer étranger», jugent la professeure émérite et la spécialiste en psychotraumatologie et victimologie. «Il y a trois ans, plus de la moitié des enfants du programme EPA étaient dans un état critique au vu de l’observation clinique et des mesures réalisées. Nous avons fait dévier la trajectoire du destin pour ces enfants. Mais une catastrophe, un nouveau massacre, peuvent ruiner ces efforts.»

«Comme toutes les constructions humaines, le modèle thérapeutique est fragile. Mais les fillettes résistent, grandissent. Elles y trouvent les outils qui feront d’elles des femmes plus libres. Il faut qu’un espoir naisse dans cette région. Il faut que ces enfants puissent s’inscrire dans un monde, où une femme violée, même si elle ne peut plus être mère, a droit à un avenir.»

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