Aller sur Mars, prélever des échantillons de sa croûte en vue de les amener sur Terre. Et d’y rechercher des traces de vie passée. La mission Mars2020, de la NASA, est ambitieuse et une chercheuse belge en fait partie. Vinciane Debaille, géologue au sein du Laboratoire G-Time (Géochimie : Traçage isotopique, minéral et élémentaire) a été désignée par l’Agence spatiale européenne (ESA), avec quatre autres scientifiques européens, pour collaborer à cette mission. Le lanceur devrait décoller entre le 30 juillet et le 15 août 2020, et l’arrivée sur Mars du rover Perseverance est attendue en février 2021.
La Dre Debaille, Maître de Recherche FNRS, participera au comité scientifique et aux opérations techniques du rover. Cela inclut la conduite de Perseverance, la documentation des observations, le planning des analyses, mais aussi le traitement des données brutes. Elle devra également se prononcer lors de la prise de décision de forer la croûte martienne afin d’en prélever un échantillon. Ce choix sera crucial, seuls 43 tubes seront disponibles, et seuls 31 échantillons pourront être amenés sur Terre lors d’une deuxième mission.
D.S. : L’objectif ultime de Perseverance est de trouver des traces de vie ancienne sur Mars. Comment les scientifiques vont-ils s’y prendre ?
Vinciane Debaille : « De l’eau liquide, il y en a eu à la surface de Mars vers 3,9 milliards d’années. On peut donc espérer y trouver des traces de vie passée. Néanmoins, un fossile de bactérie est plus difficile à voir que celui d’un dinosaure. Pour identifier des structures cellulaires et faire des analyses précises, des outils hautement perfectionnés sont nécessaires. Cela n’est pas faisable sur Mars. Cette identification directe de preuve devra se faire sur Terre. Soit pas avant 2031, date de l’arrivée prévue des échantillons martiens sur notre planète. »
« Pour trouver des traces de vie, on va également se baser sur des biosignatures. Ces preuves de vie dites « indirectes » sont issues d’analyses chimiques, isotopiques. Ces dernières, elles aussi, ne pourront être réalisées que sur Terre. »
« Prenons, par exemple, le carbone. Il existe sous deux formes isotopiques stables: 12C et 13C ; le fameux 14C n’étant pas stable. Les organismes utilisent généralement du 12C, mais également le 13C en plus petite quantité, selon un certain rapport. C’est par exemple cette signature de carbone générée par une activité biologique que l’on va rechercher. »
« Cet exercice, on va le faire sur tous les éléments du tableau périodique utilisés lors d’activités biologiques. Pour chacun, on va évaluer si le rapport isotopique observé dans un échantillon martien est compatible avec de l’activité biologique. On cherche le Saint-Graal, une convergence de biosignatures qui ne pourrait être expliquée par autre chose que par la vie. »
D.S. : Quid de traces de vie actuelle sur Mars ? Peut-on raisonnablement espérer en trouver ?
Vinciane Debaille : « Trouver de la vie actuelle, c’est compliqué. La surface de Mars telle qu’on la connaît aujourd’hui n’est pas habitable. Mais des collègues pourraient argumenter que si on en creusait le sol, on pourrait peut-être y trouver de la vie. En tout cas, les échantillons prélevés par Perseverance ne mesureront pas plus de 6 cm de long (pour 1,3 cm de diamètre, NDLR), ils n’atteindront donc pas une profondeur propice pour cela. »
D.S. : Le rover se posera au cœur du cratère de Jezero. Pourquoi ce choix ?
Vinciane Debaille : « Ce site est un ancien lac asséché. Des images satellites ont révélé que, jadis, deux cours d’eau s’y jetaient tandis qu’un autre en sortait, charriant tous trois des sédiments qui se sont déposés dans leur lit. L’endroit est idéal pour chercher des traces de vie passée, directes ou indirectes via les biosignatures, car il faut de l’eau pour qu’il y ait de la vie. »
« De plus, le cratère de Jezero est relativement épargné, peu de cratères d’impact y sont observés. De sorte qu’on espère trouver des sédiments intacts. »
« A noter, cependant, que les impacts peuvent également favoriser la vie : à l’endroit de collision, la roche se réchauffe et il peut y avoir apparition d’eau liquide. Donc, de manière locale, il pourrait y avoir un écosystème qui se développe et qui se ré-endort quand il n’y a plus d’eau. »
D.S. : Combien de temps durera la mission de Perseverance ?
Vinciane Debaille : « La durée nominale de la mission est d’un an. C’est la durée pendant laquelle les ingénieurs garantissent le rover. Les rovers Opportunity (lancé en 2003, NDLR) et Curiosity (déployé sur Mars en 2012, NDLR) avaient eux aussi une durée nominale d’une année… Cela n’a pas empêché le premier de poursuivre son exploration martienne durant une dizaine d’années et le second d’être toujours opérationnel. »
« Sur cette base, on ne s’inquiète donc pas de trop pour la durée de vie de Perseverance. Pendant un an, il va rester dans le cratère de Jezero pour réaliser la mission Mars2020. Ensuite, celle-ci sera étendue. Les cratères, là-bas, sont enchâssés les uns dans les autres (comme des poupées russes, NDLR). Le rover sortira du cratère de Jerezo et ira plus loin, certainement vers le Sud-Est, jusqu’au bord du cratère plus grand qui le contient. Des analyses géologiques pourront alors nous éclairer sur la formation de la planète rouge et son évolution. »