Chaque jour, notre moelle osseuse produit des milliards de globules blancs destinés à défendre notre organisme. Ces cellules se déclinent en différents types, dont la proportion et le rôle varient. Parmi elles, on trouve les éosinophiles, qui représentent 1 à 3 % des globules blancs chez les personnes en bonne santé.
Leur fonction précise dans le système immunitaire reste encore peu comprise par les scientifiques. Ce que l’on sait, c’est qu’un taux élevé d’éosinophiles dans le sang est souvent associé à des troubles respiratoires, tels que l’asthme et la rhinite allergiques. Depuis quelques années, il existe ainsi des traitements qui visent directement les éosinophiles pour soulager les symptômes de ces maladies.
Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Liège, en collaboration avec l’Université de Gand, s’est attachée à mieux comprendre le fonctionnement de ces globules blancs, en vue d’améliorer les thérapies les ciblant.
Des cellules immunitaires peu étudiées
Pour Christophe Desmet, maître de recherches FNRS et co-directeur du laboratoire d’Immunologie Cellulaire et Moléculaire qui a piloté cette étude, les éosinophiles ont jusqu’ici été moins étudiés que les autres globules blancs, car leur rôle au sein de l’organisme semble anodin.
« De fait, si un taux élevé pose problème, peu d’éosinophiles dans le sang, voire leur absence en cas de traitements spécifiques, semble sans conséquences. Aussi, certains cliniciens avancent que ces globules blancs ne “servent à rien”. Pourtant, on les retrouve chez tous les vertébrés, du requin à l’humain. Ils sont donc vraisemblablement importants. Dans le cas contraire, l’une ou l’autre lignée aurait perdu la capacité à en produire au cours de l’évolution. »
S’ils ont été longtemps négligés, on constate aujourd’hui un regain d’intérêt pour ces globules blancs avec le développement de traitements des allergies respiratoires (pollens, acariens, poils d’animaux…). Des maladies dont la prévalence est en augmentation. Selon les dernières données de l’Institut national de santé publique, le pourcentage de Belge de 15 ans et plus souffrant d’asthme allergique a augmenté de façon significative, passant de 4,3 % en 2013 à 5,8 % en 2018.
Mieux expliquer l’action des thérapies ciblées
« Une grande avancée dans le traitement de formes sévères d’asthme allergique a notamment été l’arrivée de thérapies ciblant la cytokine Interleukine-5 (IL-5), une protéine importante pour les éosinophiles. Cependant, les effets de ces médicaments restent encore peu décrits », fait savoir Christophe Desmet.
Avec le soutien du FNRS, de l’Université de Liège, du Fonds Léon Fredericq, et du programme EOS (Excellence of Science), les chercheurs ont étudié l’action des thérapies ciblant l’IL-5, en examinant la manière dont les éosinophiles se développent, ce qui cause leur augmentation anormale, et l’impact de la protéine IL-5 sur ces globules blancs.
Sur la trace des éosinophiles
Afin de suivre leur développement, il a été nécessaire de déterminer quelles cellules de la moelle osseuse deviendront des éosinophiles. Pour ce faire, les chercheurs ont observé les protéines liées à la surface des cellules, spécifiques à chaque type de cellule.
« Dans ce cadre, on a utilisé une approche novatrice, appelée l’infinity flow, décrite pour la première fois en 2019. Elle permet l’analyse de centaines de protéines de surface sur des millions de cellules individuelles ». Cette méthode combine la cytométrie en flux – une machine qui permet d’analyser une par une des cellules afin de fournir des informations sur leurs caractéristiques – et l’apprentissage automatique.
De là, les chercheurs ont pu examiner le processus de développement des éosinophiles, de leur stade immature, à leur division (reproduction) et maturation dans la moelle osseuse chez la souris, mais aussi chez l’humain, sur base d’échantillons de moelle de patients sains.
Une division cellulaire mise à mal
Jusqu’ici, on pensait que la protéine IL-5 favorisait la maturation des futurs éosinophiles. L’étude a montré l’inverse : l’IL-5 ralentit la maturation des éosinophiles en devenir, ce qui leur permet de se multiplier plus longtemps.
« Chez les patients présentant un taux d’éosinophiles élevé, les cellules se reproduisent davantage que la normale dans la moelle osseuse. En bloquant IL-5, les cellules continuent bel et bien à maturer (et même plus vite), mais elles ne sont plus autant capables de se diviser. En conséquence, moins d’éosinophiles sont libérés dans le sang. »
Par ces résultats qui éclairent la manière dont les thérapies ciblant IL-5 agissent exactement, il sera possible à la communauté scientifique d’améliorer les traitements existants. Voire de détecter de nouvelles cibles et de proposer d’autres solutions thérapeutiques.