Les chercheurs polaires belges aiment le Sud. Depuis 1897-1899 et l’expédition de la Belgica d’Adrien de Gerlache – première expédition scientifique australe et premier hivernage – la Belgique concentre une bonne partie de ses recherches en Antarctique.
De passage à Bruxelles, le Dr Louis Fortier (Université Laval, à Québec, Canada) est venu dire aux scientifiques belges de ne pas oublier pour autant l’autre côté de la planète. « En Arctique, les opportunités de recherche sont nombreuses », explique le biologiste qui est aussi le directeur scientifique d’ArcticNet, le réseau de centres d’excellence en matière de recherches polaires au Canada. « Et les collaborations internationales y sont parfaitement envisageables ».
L’Amundsen, un brise-glace au service de la recherche
Le professeur Jean-Louis Tison (Glaciologie / ULB) est bien placé pour le savoir. Plusieurs de ses étudiants ont déjà pu bénéficier de l’hospitalité des chercheurs canadiens à l’occasion de campagnes à bord du brise-glace Amundsen. Le laboratoire de glaciologie bruxellois étudie notamment les interactions entre la glace de mer et l’océan, l’atmosphère et la roche.
L’Arctique est devenu une priorité stratégique pour le Canada. La fonte de la banquise, les nouvelles routes maritimes qui s’y ouvrent et l’exploitation de nouvelles ressources y sont pour beaucoup dans cet intérêt.
D’un point de vue scientifique, c’est également une opportunité à ne pas manquer. Le Canada envisage la construction d’un nouveau brise-glace afin de patrouiller dans la région et d’y surveiller ses frontières. Pour les chercheurs, ce navire pourra aussi servir de base de recherche flottante. Un navire scientifique qui complètera les services que rend déjà l’Amundsen, l’actuel brise-glace des gardes-côtes, largement utilisés par les scientifiques d’ArticNet.
Rééquilibrage Nord-Sud pour les chercheurs belges
Les chercheurs belges ne boudent pas l’Arctique. Qu’il s’agisse de l’étude de la cryosphère, des changements climatiques, de la biodiversité, de la surveillance de polluants, ils y mènent diverses recherches. La dernière année polaire internationale (IPY 2007-2008) en a donné quelques exemples, principalement grâce au soutien de la Politique Scientifique fédérale et son programme polaire. Force est de constater que leur intérêt pour le Nord n’est pas aussi développé que pour le Sud.
La main tendue canadienne pourrait remettre un certain équilibre dans ce domaine et qui sait, peut-être aussi ouvrir de nouveaux horizons scientifiques aux chercheurs belges ? Les écosystèmes marins et la glaciologie y sont bien entendu étudiés. Mais d’autres domaines, susceptibles d’intéresser les chercheurs belges y sont aussi développés : les écosystèmes terrestres et la santé par exemple.
Accueil payant à bord
« ArcticNet représente 38 projets de recherche pilotés par 145 chercheurs principaux au Canada », explique le Dr Fortier. Il mobilise 32 universités et des partenaires issus de 14 autres pays ». La Belgique n’entre pas dans ce calcul, malgré les collaborations avec le Pr Tison de l’ULB.
« Les chercheurs belges sont les bienvenus à bord de l’Amundsen », reprenait, en milieu de semaine, le Dr Fortier, lors d’une rencontre à la Politique Scientifique fédérale organisée avec la Délégation générale du Québec à Bruxelles. « Bien sûr, cela à un prix : quelques dizaines de milliers d’euros pour une campagne de 42 jours ».
Afin d’éviter ces transferts d’argent, pourquoi ne pas plutôt envisager des échanges de scientifiques entre la Belgique et le Québec via, par exemple, l’accueil de chercheurs canadiens à la base belge antarctique Princess Elisabeth?
Double entrave à un simple échange de bons procédés
« C’est une piste intéressante », dit le Pr Fortier, qui identifie cependant deux difficultés à ce propos. « Au Canada, la problématique arctique est si vaste qu’à elle seule, elle a de quoi occuper aujourd’hui quatre fois plus de scientifiques canadiens que ceux déjà impliqués dans ce domaine ». Dans ces conditions, développer la recherche antarctique n’apparaît guère être une priorité. D’autant que le Grand Nord, avec la fonte de la banquise, devient elle, primordiale d’un point de vue stratégique pour tous les états bordant le sommet de la planète, y compris le Canada.
L’autre entrave à un simple échange avec la Belgique « antarctique » est plus scientifique. « Nos chercheurs sont spécialisés dans des problématiques touchant le Nord, souligne le Pr Fortier. Allez au Sud est sans aucun doute très intéressant, mais cela ne correspond pas à nos compétences », souligne le Dr Fortier, « à quelques exceptions près. Dans cette perspective, envisager des échanges de scientifiques m’apparait plutôt compliqué ».
Identifier les outils financiers en Belgique
Pour les chercheurs belges, cette ouverture scientifique canadienne est sans aucun doute une opportunité à examiner. Les biologistes marins et glaciologues belges n’ont toutefois pas attendu la visite du Pr Fortier à Bruxelles pour mener des recherches sur les écosystèmes océaniques polaires. Arctiques. Depuis des années, et grâce notamment à l’Institut polaire Alfred Wegener allemand, les scientifiques belges participent à des campagnes en Antarctique mais aussi en Arctique à bord du PolarStern. D’autres embarquent sur les navires français.
Avec la main tendue canadienne, c’est cependant un nouveau territoire qui s’ouvre à leur curiosité: le Grand Nord canadien, le passage du Nord-Ouest, etc. Et de nouveaux champs de recherche également (évolution du pergélisol, écosystèmes terrestres, impacts de l’évolution de la banquise sur les populations humaines de la région, etc.). Reste à identifier les outils de financement public en Belgique pour soutenir ces éventuels nouveaux projets de recherche.
Comme on le sait, au niveau fédéral, la Politique scientifique, qui soutient traditionnellement ce type de recherches, est menacée de disparition. Au Canada par contre, la tendance est plutôt à unir les forces vives. La création d’un nouvel Institut arctique pancanadien en est la preuve et décentraliser en est la preuve. Il pourrait être piloté par l’Institut nordique du Québec, un tout nouvel Institut dont la création vient d’être annoncée. Il combinera l’expertise en recherche fondamentale et appliquée de trois grandes institutions: l’Université Laval, l’Université McGill et l’Institut National de Recherche Scientifique (INRS).
Une démarche à méditer, dans une Belgique scientifique fédérale promise à une certaine déliquescence.
Arctic Change 2014
Pour en savoir plus sur les enjeux et les opportunités liés à la recherche arctique, rendez-vous en décembre à Ottawa, la capitale fédérale du Canada. ArcticNet et ses partenaires nationaux et internationaux invitent la communauté scientifique à y participer à la conférence internationale Arctic Change 2014.