À Aubechies et Ramioul, l’archéologie expérimentale tente de percer les mystères du passé

17 novembre 2017
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

En archéologie, on n’est jamais sûr de rien. Pour tenter de comprendre le fonctionnement d’objets anciens, voire peut-être de déterminer leur usage, ils sont quelques fois répliqués et testés. Cette archéologie expérimentale se pratique au laboratoire du préhistosite de Ramioul ainsi qu’à l’archéosite d’Aubechies, en Wallonie.

 

Cet été, sous la houlette de George Verly, archéologue aux Musées royaux d’art et d’histoire,  et membre de l’EACOM, un fac-similé d’un four égyptien vieux de plus de 4.000 ans y a réduit un minerai en cuivre comme on le faisait au temps des pharaons.

 

Le point de départ de l’archéologie expérimentale, c’est une hypothèse, souvent exprimée par un archéologue de terrain. L’archéologue expérimental va, quant à lui, essayer d’y répondre en refaisant des gestes d’antan.

 

Un four égyptien du Moyen-Empire reproduit à Aubechies

 

Il arrive qu’un archéologue porte les deux casquettes, celle des fouilles et celle de l’expérimentation. C’est le cas de Georges Verly et de son projet de recherche multidisciplinaire sur la métallurgie antique et traditionnelle du cuivre en Égypte, en collaboration avec les Universités de la Sorbonne et du Canal.

 

Voilà six  ans qu’il fouille un site métallurgique antique de Ayn Soukhna, non loin de la mer Rouge. Une centaine de fours à réduction datant du Moyen-Empire y ont été découverts. La copie conforme de l’un d’entre eux a été construite avec du grès, du sable et des pierres à l’archéosite d’Aubechies.

 

L'archéologue Georges Verly montre des billes de cuivre produites par le four égyptien antique d'Aubechies. © Laetitia Theunis
L’archéologue Georges Verly montre des billes de cuivre produites par le four égyptien antique d’Aubechies. © Laetitia Theunis

Georges Verly apprend à utiliser chacun de ses éléments et à faire fonctionner l’ensemble de 10 tonnes afin de comprendre le processus de fabrication du cuivre.

 

« L’avantage de l’expérimentation est qu’on devient de meilleurs archéologues », dit-il avant d’expliquer: « on dispose d’indices archéologiques spécifiant qu’à côté des fours, il y a systématiquement du crottin d’âne et du bois vert d’acacia devenu sec. On en ignorait la raison. Dans le four d’Aubechies, on a démontré que du bois qui vient d’être coupé permet d’atteindre 1200°C. Ensuite, on a constaté que l’ajout de crottin permet de descendre à 900°C, soit la température idéale pour réduire la malachite en cuivre. »

 

Les limites de l’archéologie expérimentale

 

Mais en Belgique, point d’acacia égyptien. Le chercheur a dû se rabattre sur des essences du terroir pour alimenter le fac-similé de four de l’époque des pharaons. Cette différence risque-t-elle de mettre en péril l’expérimentation ? Georges Verly rassure:

Mi-novembre, le four d‘Aubechies s’est endormi pour passer l’hiver. Pas moins de 49 tests de réduction y ont été menés, soit près de 1.500 heures d’expérimentation. « C’est un travail très long. Chaque protocole est réitéré au minimum 3 fois. » Dans 4 ans, le modèle métallurgique défini à Aubechies sera testé dans des fours en Égypte. « Au moins cinq fois, pour le valider définitivement », précise Georges Verly, avant de pointer une limite majeure de l’expérimentation :

En juin 2018, une réplique de four à fusion du Moyen-Empire sera construite à quelques pas du four à réduction. Les billes de cuivre produites cette année seront alors portées à 1.200°C. Le métal fondu sera ensuite moulé en outils antiques.

 

Un mystère entourant Ötzi résolu à Ramioul ?

 

Quittons l’Égypte antique et Aubechies pour l’Italie préhistorique et Ramioul. En 1991, une momie préhistorique vieille de quelque 5.300 ans était découverte congelée dans le glacier du Hauslabjoch, en Italie. Ötzi était un homme de 45 ans et de petite stature, 1,59 mètre pour 50 kilos. Parmi les objets qui l’accompagnaient, du matériel de chasse : un arc inachevé dépourvu de corde ainsi qu’un carquois contenant des flèches achevées et inachevées, mais aussi une corde.

 

Est-ce que la corde trouvée dans le carquois était celle de l’arc ? À cette question, l’archéologue en charge de Ötzi répondait par la négative, expliquant que la corde était trop grosse pour passer dans l’encoche de la flèche.

 

Christian Casseyas s’est alors emparé de la question. Archéologue et coordinateur du Laboratoire d’archéologie expérimentale du Préhistosite de Ramioul, il a reproduit la corde et l’a mise sur un fac-similé d’arc d’antan.

 

« Puisque l’arc d’Ötzi était inachevé, on ignore la force qu’il aurait eu. Cette force dépendant de la longueur de l’arc, mais aussi de l’épaisseur des branches. Je me suis dès lors documenté sur la puissance moyenne des arcs à l’époque et j’en ai reproduit un. Après avoir reproduit la corde et l’avoir mise sur cet arc, j’ai vu que lors de la tension, elle s’amincissait, car ses fibres se serraient : dans ces conditions, la corde était bel et bien capable de recevoir une encoche de flèche ! »

 

Les Indiens prennent une corde de réserve

 

Sachant que plus une corde est fine, plus elle est efficace , une question taraudait Christian Casseyas. Pourquoi la corde d’Ötzi était-elle si grosse ?

 

Elle était faite en écorce de tilleul, une matière qui n’était pas de premier choix. Après quelques recherches, il découvre qu’en Amazonie, les Indiens produisent eux aussi des cordes au départ de fibres d’écorces. « Ils les font de moyenne épaisseur et, comme cette matière n’est pas très solide, ils placent une deuxième corde dans leur carquois. »

 

“En archéologie expérimentale, on se limite à exclure des possibilités”

 

Riche de cette information comparative et suite aux essais expérimentaux réussis, Christian Casseyas a proposé à la communauté scientifique que la corde trouvée dans le carquois d’Ötzi était bien celle de son arc.

 

« On agit toujours avec beaucoup de prudence. En effet, si une expérimentation réussit, ça ne veut pas dire que l’objet a cette fonction-là, mais qu’il pourrait l’avoir”, explique-t-il. “Par contre, si le test est négatif, c’est que l’hypothèse de départ était mauvaise. Généralement en archéologie expérimentale, on se limite à exclure des possibilités. Si l’on a deux hypothèses et qu’on en exclut une, ça ne veut pas dire pour autant que celle qui reste est la bonne… La bonne hypothèse, on n’y a peut-être pas encore pensé. »

 

Pas de chaume sur le toit des maisons préhistoriques

 

Au Préhistosite de Ramioul, une maison néolithique expérimentale a été érigée. Sa toiture est couverte de différentes matières. « On vise ici à déterminer la nature du couvert des toitures préhistoriques. Cette donnée manque, car on n’a retrouvé ni tuile ni ardoise et on n’a rien d’autre que quelques plans et des traces de pieux dans le sol. Dès lors, on expérimente plusieurs matières. On a déjà dû en enlever certaines, comme la paille, car elles n’ont pas tenu le coup. Celles qui demeurent en place sont les plus plausibles. »

 

L’expérimentation suggère qu’au Néolithique, les toits n’étaient pas en chaume, comme cela est pourtant couramment représenté dans les parcs et les livres d’histoire. Mais plus probablement recouverts d’écorces, de cuir ou de planches.

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