Dans le paysage complexe du financement européen de la recherche et de l’innovation, réussir une proposition de projet relève tant de l’excellence scientifique que d’une maîtrise fine des attentes de la Commission européenne. Lors de l’European Cyber Week, organisée à Rennes (France), un atelier pratique organisé par le service Recherche et Innovation de Wallonie-Bruxelles International a permis de mieux préparer les candidats au dépôt de telles propositions.
« L’idée est d’apporter des informations concrètes et pertinentes aux chercheurs francophones présents à cette semaine de la cybersécurité », souligne Adrien Sellez, Conseiller scientifique et académique de WBI en France. « Mais aussi de leur permettre ensuite de dialoguer et pourquoi pas, d’imaginer ensemble le montage d’un projet à soumettre dans le cadre des appels 2026-2027 du programme Horizon Europe en cybersécurité ».
Avec l’aide de Cyberwal, l’initiative d’innovation stratégique wallonne dédiée à la cybersécurité, et l’Awex, l’Agence wallonne aux exportations et investissements étrangers, il est à l’origine de cette rencontre entre « francophones »: des Français, bien évidemment, des Wallons et des Bruxellois, mais aussi des Suisses et des Québécois.
Bien comprendre les critères d’évaluation
Comment bâtir un consortium crédible de partenaires et structurer une proposition solide afin de maximiser ses chances de succès lors de l’évaluation? « Un élément souvent négligé dans le montage d’un dossier européen se révèle essentiel », pointe Philippe Massonnet, du Cetic, le Centre d’excellence en technologies de l’information et de la communication basé à Gosselies. « Il s’agit de la bonne compréhension des critères d’évaluation des propositions par les experts de la Commission.»
Avant d’examiner les projets, les évaluateurs reçoivent une courte formation accessible publiquement. Elle expose les questions précises auxquelles ils devront répondre. Pour les porteurs de projet, cette transparence constitue un avantage stratégique : consulter ces documents permet d’anticiper les attentes des experts et d’y répondre explicitement dans la proposition. « Si l’évaluateur trouve la réponse dans votre texte, son travail est facilité », résume Philippe Massonnet.
Tactique budgétaire et résultats attendus
Le premier niveau de réflexion concerne le budget. Chaque appel à projets fixe un budget global et recommande une fourchette indicative pour chaque proposition. Un exemple évoqué illustre bien l’enjeu : un appel doté de 30 millions d’euros suggère des projets entre 14 et 16 millions. Toutefois, la réglementation impose que le financement total ne dépasse pas l’enveloppe disponible. Ainsi, si deux projets classés en tête demandent chacun 16 millions, le second sera automatiquement écarté. La tactique consiste dès lors à viser le bas de la fourchette, afin de rester finançable même si un concurrent se place devant. Une règle tacite, mais importante.
Autre point central : les « expected outcomes » ou résultats attendus. Les appels définissent souvent plusieurs options, dont une au moins doit être couverte par les candidats. Faut-il en cibler une seule ou plusieurs ? La réponse dépend du consortium et du potentiel d’impact. Se disperser peut affaiblir la proposition si les partenaires n’ont pas les compétences pour couvrir plusieurs objectifs. « À l’inverse, un ciblage clair peut renforcer la cohérence et la crédibilité scientifique », estime M. Massonnet. « Ces appels, parfois très ciblés, exigent une correspondance précise avec des problèmes de recherche bien définis : détection de menaces cyber, amélioration des temps de réponse automatisés, renforcement de l’authentification… Autant d’exemples démontrant que le vague ou les généralités sont rédhibitoires.»
Un vocabulaire à maîtriser
La Commission utilise une terminologie très codifiée : « objectives », « results », « research outputs », « outcomes », « impact »…. « La distinction entre outcome et impact est particulièrement importante », précise le représentant du Cetic. « Les outcomes concernent les effets directs sur une communauté cible définie, tandis que l’impact renvoie aux transformations plus générales et à long terme sur la société, l’économie ou la science. Les propositions doivent articuler ces niveaux et montrer comment les résultats scientifiques, les activités de dissémination et les actions d’exploitation conduisent à des changements réels ».
La structure des propositions reflète cette logique : excellence scientifique, impact, puis mise en œuvre. Les différentes parties doivent dialoguer entre elles : les « work packages » doivent renvoyer explicitement aux objectifs. Les livrables doivent démontrer comment ils contribuent aux « outcomes ». Et les activités de communication doivent s’adresser à des publics cibles bien identifiés. La cohérence générale est scrutée avec attention.
Aligner science et politiques européennes
Un autre aspect clé consiste à relier le projet aux grandes priorités politiques de l’Union. La Commission fournit des documents qui montrent la chaîne logique entre résultats de projets et objectifs stratégiques européens.
Se limiter à répéter le texte de l’appel est insuffisant : les porteurs doivent montrer comment leur projet s’inscrit dans une vision plus large, souvent peu détaillée dans l’appel lui-même. Cette capacité d’alignement renforce la crédibilité et la pertinence du dossier.
Les critères d’évaluation : un triptyque exigeant
Les propositions sont jugées selon trois axes : excellence scientifique, impact, et qualité de la mise en œuvre. Dans la section « excellence », les évaluateurs examinent la clarté des objectifs, leur pertinence, leur caractère mesurable et réaliste, ainsi que la capacité du projet à faire progresser l’état de l’art. Sans innovation réelle, même un impact fort ne suffit pas.
« La méthodologie scientifique doit être rigoureuse, bien fondée et parfois interdisciplinaire. Dans des projets mêlant cybersécurité, droit ou éthique, il faut expliquer comment ces disciplines collaboreront concrètement. Les dimensions de genre, d’open science et de gestion responsable des données (conforme au RGPD) prennent une importance croissante », précise encore le spécialiste.
La section « impact » interroge la crédibilité des changements annoncés, l’identification des obstacles et des plans de mitigation, et surtout la pertinence du public cible. Plus ce public est identifiable, mieux l’évaluateur peut croire à l’efficacité des actions proposées. Un exemple est donné : en cybersécurité hospitalière, travailler avec des groupes de patients clairement établis renforce la validité de l’approche.
En somme, réussir une proposition européenne exige tant une maîtrise scientifique qu’une compréhension fine du processus administratif et politique. Une démarche méthodique, cohérente et ancrée dans les priorités européennes reste la clef pour transformer une idée de recherche en un projet financé.
Ne pas oublier les tableaux
Un dernier conseil? Il vient du Pr Jean-Yves Marion, de l’Université de Lorraine. Il a eu l’occasion de voir les deux facettes des projets européens. D’abord comme scientifique impliqué dans un consortium, ensuite comme expert européen pour des projets à évaluer.
« Quand on doit évaluer une proposition, des tableaux récapitulatifs sont précieux », dit-il. « Il ne faut pas supposer que l’évaluateur est un super esprit qui connaît tout. »
Au terme de l’atelier, les spécialistes « cyber » francophones se sont retrouvés mieux armés pour imaginer des projets à déposer ensemble. Sept appels « cyber » seront proposés en 2026 et 2027 par la Commission européenne.