Accusés de faciliter la diffusion de « fake news », de rendre accro aux écrans, ou encore de favoriser le harcèlement scolaire, les réseaux sociaux souffrent d’une image qui se ternit de plus en plus. Pourtant, selon Camille Tilleul, collaboratrice scientifique au sein du Groupe de Recherche en Médiation des Savoirs de l’UCLouvain, ces nouveaux médias restent des lieux d’opportunités. Dans le cadre de sa thèse, elle a notamment découvert que certaines pratiques sur ces réseaux offrent aux jeunes adultes l’occasion d’améliorer leurs compétences médiatiques, et ainsi leur esprit critique.
La diversité des usages en question
« De nombreuses études ont déjà démontré que les jeunes qui utilisent fréquemment ces nouveaux médias acquièrent au fil du temps de bonnes capacités techniques de base », informe la docteure Tilleul. « En clair, plus on se sert de ces outils, plus on est à l’aise avec leurs fonctionnalités (savoir naviguer sur un site sans se désorienter, savoir faire tourner un logiciel simple, etc.). Ces études n’ont toutefois pas établi de connexion entre la fréquence d’utilisation et l’acquisition de compétences informationnelles et sociales de plus haut niveau. C’est-à-dire savoir identifier la source d’un média, les représentations qu’il utilise, et pouvoir émettre un jugement critique sur celui-ci. »
La chercheuse s’est donc penchée sur les liens entre les usages des 18-25 ans sur les réseaux sociaux, et leur capacité à analyser des contenus médiatiques. En partant de l’hypothèse que ce ne sont pas les pratiques intensives qui influencent ces aptitudes, mais bien leurs diversités.
Cinq profils de pratiques sous la loupe
Pour le déterminer, Camille Tilleul a questionné 350 jeunes belges de différents milieux socio-économiques. Elle les a interrogés sur leurs pratiques, les thématiques qu’ils abordaient sur ces réseaux, et avec qui. A terme, la chercheuse a distingué cinq profils de pratiques :
-Les faibles usagers, qui produisent et consomment peu de publications. Leur utilisation est dite « passive »
-Les lecteurs motivés par l’amitié, qui produisent peu, mais consomment beaucoup de publications en lien avec leur sphère personnelle
-Les lecteurs motivés par la citoyenneté, qui produisent peu, mais consomment beaucoup de publications en lien avec l’actualité et des sujets de société
-Les producteurs, qui produisent et consomment de nombreuses publications variées
-Les « likeurs », qui consomment beaucoup de publications, affichent à tout-va le désormais célèbre pouce dressé vers le haut en guise d’approbation et produisent modérément. Ce sont des « réseauteurs » qui ne veulent pas louper les informations
Elle a ensuite mesuré les compétences médiatiques de chaque profil, en évaluant leur habilité à identifier plusieurs éléments d’une photo, d’un texte ou d’une vidéo. À savoir sa source ou son auteur, son format, son message, son intention, le public visé, et les codes de représentations exploités. Plus une personne est capable d’analyser ces données, plus elle pourra faire preuve d’esprit critique envers la désinformation et la manipulation.
Les lecteurs, meilleurs que les producteurs
Résultats ? Les utilisateurs classés comme étant des « lecteurs motivés par la citoyenneté » sont les plus doués pour analyser des reproductions médiatiques. À l’opposé, les producteurs possèdent le plus faible niveau de compétence.
« Ces résultats sont surprenants, car, intuitivement, on pourrait penser que les utilisateurs qui produisent beaucoup sur un grand nombre de thématiques sont aptes à examiner, et donc à comprendre la teneur de publications médiatiques. En réalité, les personnes qui croient avoir un avis sur tout, et produisent donc beaucoup dans des sphères très diverses, ne pensent pas en profondeur et en nuances au sujet sur lequel elles écrivent. Ni au public auquel elles s’adressent », constate la chercheuse.
La diversité dans les pratiques de réception soutiendrait davantage le développement de cette aptitude. Lire, écouter ou visionner de nombreuses publications en lien avec l’actualité et des sujets de société, via les réseaux sociaux, apprend ainsi aux jeunes à mieux disséquer les contenus médiatiques en général. Des pratiques qui aiguisent, en conséquence, leur esprit critique. Et selon la scientifique, ce constat peut s’avérer utile dans l’éducation aux médias.
Sortir les jeunes de leur sphère numérique personnelle
« Au sein de l’échantillon, la majorité des jeunes appartient aux profils de « likeurs » et de lecteurs motivés par l’amitié. Au regard des résultats, si l’on parvenait à inciter les jeunes à être plus curieux, à dépasser ces pratiques liées aux sphères de l’amitié (partage d’autoportraits, de sa vie, etc.) et à s’engager dans des groupes d’intérêts plus spécifiques, nous pourrions les amener à acquérir, de manière transversale, de nouvelles compétences d’éducation aux médias », assure la chercheuse.
« Cette recherche témoigne également que les réseaux sociaux représentent des lieux d’apprentissage pour les jeunes. Même s’il existe des travers et des risques à leur utilisation, ils offrent aussi des opportunités dont on parle trop peu. Étudier ces supports est essentiel si l’on veut mieux comprendre leurs influences, négatives comme positives, sur la jeunesse », conclut Camille Tilleul.