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La psychiatrie fabrique de plus en plus de malades

18 février 2016
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Le nombre de diagnostics psychiatriques explose au fil des éditions du DSM, le «Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders» de l’Association Américaine de Psychiatrie. La 5e édition, parue en 2013, publiée en français l’an dernier, agite les professionnels de la santé mentale.
 
«Tout se passe un peu comme si, de peur de rater un malade, non seulement le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux a multiplié les maladies mais a aussi, pour chacune d’entre elles, prévu des critères tellement larges que des personnes non malades se retrouvent classées comme telles», constatent Pierre Schepens, chef de service à la Clinique de la Forêt de Soignes à Waterloo et Nicolas Zdanowicz, professeur de psychiatrie à l’Université Catholique de Louvain (UCL).
 
«De simple outil statistique, le DSM est devenu, en moins de 15 ans, le manuel de référence de la psychiatrie contemporaine. Qu’il l’adore ou le déteste, tout intervenant en santé mentale se doit de le connaître et de l’utiliser. Toutefois, l’usage exclusif et intensif de cet outil risque d’engendrer de grandes catastrophes médicales et sociales

 

«Tous fous ou la psychiatrie 5.0» par Pierre Schepens & Nicolas Zdanowicz. Editions Academia-L’Harmattan, VP 13.30 €
«Tous fous ou la psychiatrie 5.0» par Pierre Schepens & Nicolas Zdanowicz. Editions Academia-L’Harmattan, VP 13.30 €

C’est donc sous le titre provocant «Tous fous ou la psychiatrie 5.0» que les deux psychiatres démontrent aux éditions Academia-L’Harmattan  que leur spécialité s’est transformée en une machine à inventer des diagnostics, à produire plus de malades. En visitant les troubles mentaux les plus connus du grand public.
 
«En se voulant a-théorique et descriptif, le DSM 5 risque de ne plus être qu’un catalogue de pathologies mentales pensé et élaboré majoritairement par des Américains. Au mépris de toute notion de singularité qu’elle soit individuelle, sociale ou culturelle. Réalisant ainsi une sorte d’espéranto de la psychiatrie. Certains psychiatres ne se sentent plus concernés par la rencontre avec des individus en souffrance lorsqu’ils cherchent uniquement à repérer chez un patient des symptômes susceptibles de valider un diagnostic permettant la mise en place d’un programme thérapeutique
 
Un record de faux troubles de déficit de l’attention
 
Le principal problème du «Trouble de Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité» réside dans son diagnostic. En 2004, on comptait en Belgique 5.000 jeunes soignés par des dérivés proches des amphétamines pour un TDAH. En moins de 10 ans, ils étaient plus de 30.000, 600% en plus. Et, 65% des enfants traités ne semblent pas souffrir de ce trouble.
 
L’extension du diagnostic, assortie d’une diminution de la sévérité des critères, induit aussi une inflation de psychoses maniaco-dépressives. Cette fluctuation anormale de l’humeur, étiquetée «trouble du spectre bipolaire», est passée de 1% en 1980 à 5 voire 8% actuellement. Chez les ados, cet accroissement est de 40% en 10 ans.
 
Pour la dépression, le manque de rigueur dans le nombre de symptômes nécessaires pour la diagnostiquer est pointé depuis le DSM 3 paru en 1980.
 
«Tout se passe comme si, faute de pouvoir faire le tri, beaucoup sont mis sous antidépresseurs au nom d’un principe de précaution. Il est à craindre que trop de patients portent le diagnostic de dépression sans vraiment mériter un antidépresseur.»
 
Une mine d’or pour la pharmacie psychiatrique
 
L’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé, prévoit qu’en 2020 la dépression sera la deuxième cause mondiale d’incapacité, juste après les maladies cardiovasculaires. De vastes perspectives de vente s’ouvrent pour la pharmacie psychiatrique…
 
«Même si le big business de l’industrie pharmaceutique croît, il est piquant de constater que, pour des centaines de diagnostics, la psychiatrie n’a toujours pas plus que les quatre classes de médicaments des années 1960: antipsychotiques, antidépresseurs, tranquillisants et régulateurs de l’humeur
 
Les nouveaux antipsychotiques et antidépresseurs ont moins d’effets indésirables…
 
«Le nombre d’utilisateurs potentiels est donc bien plus large. Les molécules qui existent aujourd’hui soulagent beaucoup plus de patients et beaucoup mieux que nous ne l’avons jamais fait. Le problème par contre est que nous devons être plus modestes et plus précis dans nos indications. Plus modestes parce que le nombre de désordres pour lesquels il n’existe pas de traitement adéquat est bien supérieur à l’inverse. Plus précis parce qu’il est à craindre que trop de personnes reçoivent ces traitements
 

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