50 millions. C’est le nombre de personnes atteintes de démence dans le monde, selon l’OMS. Et la maladie d’Alzheimer serait à l’origine de 60 à 70% des cas. Mieux comprendre les infimes changements à l’œuvre dans le cerveau au tout début de cette maladie était l’objectif d’une étude menée au laboratoire du GIGA CRC (Centre de Recherches du Cyclotron) de l’ULiège. Les résultats montrent, pour la première fois chez l’humain, que l’accumulation d’une protéine spécifique dans le tronc cérébral influence la suractivité neuronale, favorisant le développement de l’Alzheimer.
Le cerveau en surchauffe
L’étude part du constat que durant les stades précliniques – quand la maladie est bien présente, mais qu’aucun symptôme cognitif n’est encore observé –, le cortex des patients présente un état d’hyperexcitabilité : les neurones sont surexploités, jusqu’à entraîner un dysfonctionnement des réseaux neuronaux. Plusieurs études chez l’animal ont montré que cette excitabilité accrue était associée à l’accumulation des protéines tau et amyloïde-beta.
« Celles-ci sont produites par notre cerveau tout au long de la vie et jouent un rôle bénéfique : les tau servent à solidifier le squelette de nos cellules; les amyloïde-beta semblent participer au bon fonctionnement de nos synapses, la zone située entre deux neurones », précise Maxime Van Egroo, collaborateur scientifique au GIGA CRC, chercheur à l’Université de Maastricht, et premier auteur de l’étude.
Nous ignorons encore pourquoi, mais quand le cerveau est atteint d’Alzheimer, ces protéines vont se multiplier de manière anormale. Elles vont finir par s’accumuler, jusqu’à former des plaques néfastes, qui vont perturber les réseaux neuronaux. Ces dépôts peuvent se former jusqu’à 20 ans avant l’apparition des premiers symptômes cognitifs de la maladie.
« Pour contrecarrer ce phénomène, le cortex va accroître son excitabilité. Les neurones vont davantage s’activer, en vue de préserver au maximum la communication avec les réseaux. Ce qui va, à son tour, contribuer à la surproduction de ces protéines. C’est donc un cercle vicieux », développe le chercheur.
Des petits dépôts aux grandes conséquences
À terme, ces amas de protéines vont tellement atrophier la machinerie neuronale qu’elle finira par ne plus du tout fonctionner. C’est ce qui arrive aux patients les plus sévèrement touchés. Pour éviter d’en arriver à ce stade, le diagnostic précoce est capital. Ce qui exige une meilleure compréhension des premières modifications cérébrales initiées par la maladie, chez l’Homme.
L’étude menée à l’ULiège visait deux objectifs : déterminer si l’accumulation des protéines tau, ou d’amyloïde-beta, ou les deux (comme c’est le cas chez l’animal), est liée à l’hyperexcitabilité corticale. Et dans quelles régions du cerveau, ces dépôts affectent le plus cette excitabilité.
Pour ce faire, les chercheurs ont étudié, à l’aide de techniques d’imagerie médicale de pointe, les cerveaux de 64 personnes entre 50 et 69 ans en bonne santé. La présence d’éventuels amas de protéines chez les sujets a été recherchée par tomographie par émission de positons (PET scan). Quant au niveau d’excitabilité corticale des participants, il a été analysé via un électroencéphalogramme, qui a mesuré la réponse de leurs neurones stimulés avec la technique de stimulation magnétique transcrânienne.
« Ces expériences ont montré qu’un niveau plus élevé d’excitabilité corticale est spécifiquement lié à une quantité accrue de protéines tau. Et particulièrement quand les amas de cette protéine se trouvent dans le tronc cérébral », rapporte le Dr Van Egroo.
« C’est dans cette région du cerveau que les protéines vont s’accumuler en premier lieu. Elles se propageront ensuite vers l’hippocampe, qui est le centre de la mémoire. Or, même si on décèle des protéine tau dans l’hippocampe, elles n’influencent pas (ou plus) l’excitabilité. C’est vraiment un phénomène régional », ajoute-t-il.
Dépister et soigner plus tôt
Cette découverte est un pas supplémentaire dans la compréhension de cette maladie, face à laquelle nous sommes encore aujourd’hui bien impuissants. « À l’heure actuelle, il n’existe aucun traitement pour soigner cette démence. Au mieux, on dispose de médicaments qui pourront retarder son évolution, surtout dans la phase primaire de la maladie. Mais sa détection arrive souvent trop tard pour enrayer son développement », rappelle le chercheur.
« Même établir un diagnostic définitif n’est pas évident. Bien qu’on soit en mesure, depuis déjà quelques années, de repérer la présence de protéines amyloïde-beta dans un cerveau en activité, les techniques pour le faire sont invasives et coûteuses. Quant à la protéine tau, cela fait seulement environ trois ans que l’on est capable de la détecter du vivant de la personne. Aussi, le diagnostic se fait aujourd’hui le souvent via des tests neuropsychologiques, et on ne peut poser qu’un diagnostic d’Alzheimer ‘probable’ ».
La recherche sur les tous premiers processus cérébraux induits par la maladie est donc primordiale si l’on veut, à l’avenir, dépister plus efficacement les patients. Et ainsi les prendre en charge plus rapidement pour, peut-être, éviter totalement l’apparition de cette démence.