Changements de comportement chez les animaux. Les babouins mâles, préoccupés de hiérarchie et de compétition, s’organisent autour de l’amitié avec les femelles. Les corbeaux appellent leurs congénères pour partager la nourriture. Des animaux qui refusaient de parler dans les laboratoires « behavioristes » entretiennent des conversations avec les scientifiques…
Aux éditions La Découverte, «Quand le loup habitera avec l’agneau» fourmille d’exemples. Dans les récits de la philosophe et psychologue Vinciane Despret, les animaux sont accompagnés chaque fois d’au moins un humain qui a proposé, imposé ou témoigné de la transformation.
«Les ours peuvent acquérir des habitudes plus policées en s’urbanisant ou peuvent devenir des personnes en enrôlant leurs chercheurs dans de nouvelles pratiques», explique l’enseignante à l’Université de Liège (ULiège) et à l’Université libre de Bruxelles (ULB). «Des perroquets australiens pourraient redevenir civilisés si leurs chercheurs réussissent la négociation des compromis.»
Une série de préjugés
«Ce que nous croyons connaître s’avère en fait ne reposer que sur une série de préjugés des plus contestables, dus pour la plupart à notre manque d’attention», souligne la chercheuse, élevée au rang de chevalier du Mérite wallon, récompensée par le Fonds international Wernaers qui soutient des actions de promotion, de recherche et de diffusion des connaissances scientifiques.
«Croire que les abeilles sont uniquement déterminées par un instinct aveugle et inflexible cautionne des préjugés beaucoup plus problématiques», ajoute la Pre Despret. «Renvoyer à l’instinct n’est qu’une des multiples manières de leur refuser toute forme d’intelligence. Si les pratiques scientifiques ne sont pas seules en cause dans tous ces processus, c’est néanmoins à elles que je proposerai de nous intéresser dans ce livre.»
Commencer par transformer les humains
Au XIXe siècle, Edward Pett Thompson mise sur la possibilité de transformer les habitudes. Le naturaliste anglais pense qu’il vaut mieux commencer par transformer les humains. Il s’attelle à faire connaître davantage les animaux. Les singes sont les acteurs privilégiés de son livre «The Passions of Animals», paru en 1851.
«Malgré la désuétude des théories qui guident ses interprétations, Thompson me paraît finalement très proche de nos éthologues les plus contemporains», estime Vinciane Despret qui a été commissaire scientifique de l’exposition «Bêtes et Hommes» à Paris.
«Et plus spécialement de ceux qui, au cours de ces dernières années, ont activement intégré à leur travail la question de la responsabilité par rapport aux transformations que nous proposons aux animaux ou par rapport à celles que nous leur refusons. En transformant des habitudes, nous donnerons une chance aux animaux de transformer les leurs. Nous allons les arracher à tout ce qui les contraint à être ce qu’ils sont et qui menace les possibilités de paix. Nous allons trouver de nouvelles contraintes qui pourront, quant à elles, fabriquer des modes inédits de vivre ensemble.»
Les héritiers de Thompson
Pour la Pre Despret, «Nous n’avons pas toujours été enrôlés par les animaux comme Thompson le souhaitait. L’élevage intensif, la disparition de nombreuses espèces, notre envahissement progressif de leurs territoires et, plus généralement, le traitement infligé aux animaux témoignent de l’extension massive de contraintes nouvelles.»
Mais cela change. Des chercheurs inventent des modes de cohabitation. De nouveaux liens, de nouvelles habitudes. On les retrouve, par exemple, du côté des mouvements qui contestent l’exploitation des animaux par les humains. Des héritiers du projet de Thompson.
Président de l’Association végétarienne de France, André Méry propose de transformer, par des manipulations génétiques, les carnivores en herbivores… «Au-delà de son apparence un peu trop visionnaire, l’argument de l’auteur est intéressant», juge la chercheuse.
Le parcours de la philosophe des sciences Vinciane Despret oscille entre psychologie humaine et étude du comportement des animaux. Elle s’intéresse aux humains qui travaillent avec eux. Ses travaux l’ont conduite à se passionner pour l’ethnopsychologie des émotions. La chercheuse marche sur les pas de la philosophe et scientifique belge Isabelle Stengers et du Français Bruno Latour, sociologue, anthropologue, philosophe des sciences.
Elle veut suivre les scientifiques dans leur pratique. Comprendre et expliquer comment ils bâtissent une théorie. Quelles influences ils subissent. Comment l’animal qu’ils observent devient acteur de cette création de savoir.