La pollution donne un goût amer au thé

18 juillet 2024
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Partout dans le monde, le thé est une boisson appréciée pour ses nuances subtiles. Sa production a principalement lieu en Asie où la culture du théier (Camellia sinensis) est particulièrement développée. Selon la FAO, l’Agence des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation, la production mondiale de thé était de quelque six millions de tonnes en 2020 dont la majeure partie provient de Chine, d’Inde et du Sri Lanka. Est-ce là-bas qu’il faut rechercher les causes de sa contamination par l’anthraquinone, un composé chimique potentiellement dangereux pour la santé humaine ?

Selon une équipe internationale de chercheurs, dont le Dr Muller, un scientifique de l’Institut royal d’aéronomie de Belgique (IASB), une des institutions scientifiques fédérales belges, ce composé chimique tomberait du ciel! Plus exactement, il proviendrait de l’atmosphère et se déposerait sur les feuilles de thé.

Thé aromatisé © Christian Du Brulle

Un dérivé oxydé de l’anthracène

« L’anthraquinone appartient à la famille des hydrocarbures aromatiques polycycliques », expliquent les chercheurs. « C’est un dérivé de l’anthracène qui est oxydé dans l’atmosphère. »

S’il est présent à l’état naturel chez un certain nombre d’animaux et de plantes, il est également une substance active de produit phytosanitaire qui agit comme un répulsif pour les oiseaux. « L’usage de ce pesticide est interdit en Europe », rappelle l’AFSCA, l’Agence fédérale belge pour la sécurité de la chaine alimentaire, dans un avis de son comité scientifique.

En ce qui concerne la pollution atmosphérique des feuilles de thé par ce composé, l’équipe de scientifiques appuie son raisonnement sur le cycle de formation et de dispersion de cette substance. L’étude examine la contamination par l’anthraquinone atmosphérique à l’aide d’un modèle de transport chimique global. Ce modèle tient compte de l’émission, du transport atmosphérique, de la transformation chimique et du dépôt de ce composé sur la surface des feuilles de thé.

Chauffage au bois et au charbon

Les chercheurs pointent aussi l’utilisation de charbon et de bois comme mode de chauffage dans ces régions du monde pour expliquer la présence de ce composé dans l’atmosphère. « La plus grande contribution au bilan atmosphérique global de l’anthraquinone provient de la combustion résidentielle, suivie de la formation secondaire due à l’oxydation de l’anthracène », indiquent les chercheurs, qui pointent l’utilisation intensive de ces combustibles dans certaines régions du monde. En particulier près des zones fortement industrialisées et peuplées du sud et de l’est de l’Asie.

Une autre source de contamination des feuilles de thé par l’anthraquinone due à la combustion pourrait résulter des techniques utilisées pour la préparation industrielle des feuilles de thé. « Une contamination supplémentaire résulte probablement des processus locaux de production du thé. D’autres enquêtes concernant l’impact du processus de fabrication sur la teneur en anthraquinone des feuilles de thé sont nécessaires », indique encore l’équipe.

Thé noir © Christian Du Brulle

Moderniser le procédé

Tout au long du processus de fabrication du thé, plusieurs étapes font appel à des épisodes de chauffage des feuilles. Au cours de celles-ci, des machines utilisant des combustibles divers pourraient également générer une certaine contamination.

C’est le cas lors du flétrissage, qui consiste à faire sécher les feuilles jusqu’à atteindre un taux d’humidité situé entre 40 et 50 %. Ou encore pendant la fixation, étape destinée à arrêter l’oxydation des feuilles. Au terme de la transformation de ces dernières, une ultime étape fait encore appel à une source de chaleur pour amener à 3% le taux d’humidité du thé (phase de dessiccation), juste avant son conditionnement et sa mise sur le marché.

Les fabricants de machines destinées à cette industrie connaissent ces risques de contamination des feuilles par l’anthraquinone. Ils proposent désormais des engins où la chauffe est assurée par des systèmes électriques.

Mais on s’écarte ici de la source strictement atmosphérique étudiée par les chercheurs. « Les incertitudes sur les émissions surfaciques d’anthraquinone et sur les paramètres qui déterminent la formation et la destruction atmosphérique de cet hydrocarbure polyaromatique oxygéné ne nous permettent pas de fournir des conclusions quantitatives définitives », concèdent-ils.

« Notre étude montre cependant que pour certaines valeurs des paramètres retenus, le dépôt d’anthraquinone sur les feuilles de thé pourrait dépasser la limite maximale de résidus définie par l’Union européenne ». Laquelle impose une limite maximale de résidus de 0,02 mg/kg pour l’anthraquinone dans les feuilles de thé séchées.

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