Au Sénégal, le Big Data est un outil précieux pour le développement

18 août 2015
par Elise Dubuisson
Temps de lecture : 5 minutes

Série (6) « Sciences et coopération »

 

Tenter de participer au suivi de la sécurité alimentaire au Sénégal grâce à l’utilisation combinée de données satellites, de statistiques nationales, du réseau routier et de données GSM…Voilà le pari un peu fou relevé par quatre bio-ingénieurs et un économiste de l’Université Catholique de Louvain (UCL). Le point de départ de ces travaux ? Le concours Data for Development !

« Sonatel, la société nationale des télécommunications du Sénégal s’est associée au MIT  et a fourni à des chercheurs plusieurs jeux de données relatives aux télécommunications au Sénégal. Il nous fallait sur base de celles-ci leur proposer une étude innovante qui permettrait d’améliorer le bien-être de la population », explique Damien Jacques, de la Faculté d’ingénierie biologique, agronomique et environnementale de l’UCL.

 

Le mil, céréale clé

Mil - Le mil est un terme utilisé surtout en Afrique pour désigner le milet, un groupe de céréales secondaires domestiquées très cultivées dans ce continent.
Mil – Le mil est un terme utilisé surtout en Afrique pour désigner le milet, un groupe de céréales secondaires domestiquées très cultivées dans ce continent.

Très vite, les bio-ingénieurs se sont tournés vers le mil, une céréale clé pour l’alimentation des plus démunis au Sénégal.

«Cette plante y est produite massivement car elle résiste très bien à la sécheresse. Elle est donc très importante pour la sécurité alimentaire des pays du Sahel dont le Sénégal fait partie. En nous y intéressant de plus près, nous avons constaté que son prix fluctuait énormément d’une saison à l’autre mais aussi d’une région du Sénégal à une autre. Une variabilité que nous avons cherché à mieux comprendre en étudiant l’équilibre offre-demande. »

 

Pour le volet « offre », les bio-ingénieurs ont utilisé deux sources d’information: des images satellites et les données de production nationale. En croisant ces données, ils ont réussi à obtenir des estimations suffisamment précises de la quantité de mil disponible sur les marchés à la fin de la récolte dans tout le pays. Quant à la « demande », elle a été obtenue par une extrapolation de données démographiques.

« Une fois ces calculs terminés, nous avons pu établir un prix moyen du mil pour chaque marché. Sauf que les prix que nous avons calculés n’étaient pas similaires aux prix pratiqués sur les marchés… Et pour cause, nous n’avions pas tenu compte d’un paramètre important : les transferts de production d’une région à l’autre. »

 

Mieux comprendre les transferts de céréales

 

Et c’est là que les données de télécommunication entrent en jeu !

« Nous sommes partis du principe qu’un commerçant transporte  le mil d’un marché à l’autre, si et seulement si la différence de prix entre ces deux marchés est plus grande que le coût de transport de la marchandise. Nous avons également tenu compte de l’asymétrie d’informations sur le prix entre les zones de marché. Ainsi, il est possible que le commerçant soit mal informé des conditions régnant sur un autre marché. Par conséquent, certains transferts de marchandise, normalement profitables au commerçant, ne se feront pas. » 

Grâce aux données fournies par Sonatel, les chercheurs ont donc étudié la circulation de l’information entre les marchés du pays. Celle-ci étant dérivée des volumes d’appels téléphoniques échangés entre les antennes avoisinantes. Ensuite, les chercheurs ont revu leur modèle prévisionnel de prix en y intégrant deux nouvelles données : le coût du transport et le coût de l’information.

 

« Il ne s’agit pas du prix réel de la communication mais de l’impact financier de l’absence d’information. Nous avons en effet constaté que lorsque deux marchés communiquent peu, ils n’ont pas suffisamment d’informations en main pour savoir ce qui est le plus avantageux économiquement. Grâce à notre modèle adapté, nous avons pu prédire les prix de manière très précise jusqu’à 10 mois à l’avance. »

Le but d’un tel modèle ? Permettre aux institutions concernées de planifier au mieux leurs interventions pour la sécurité alimentaire. Celle-ci dépendant directement de l’accès, de la disponibilité et de la stabilité dans le temps d’une ressource alimentaire.

 

De la recherche au modèle opérationnel

 

Les recherches menées par Damien Jacques, Raphaël d’Andrimont, François Waldner et Julien Radoux, de l’Earth and Life Institute (UCL) et Eduardo Marinho, expert scientifique en économie rurale ouest-africaine, leur ont non seulement valu un prix dans le cadre du concours Data for Development mais également une bourse leur permettant d’implémenter leurs résultats directement sur le terrain.

 

« Nous sommes partis au Sénégal expliquer notre démarche aux institutions locales en charge de la sécurité alimentaire afin d’évaluer la pertinence de notre modèle. C’était une expérience unique pour nous de passer directement de la recherche au volet opérationnel sur le terrain. Cela nous a permis de discuter des besoins des acteurs locaux et de l’intérêt de nos travaux. De cette manière, nous avons des pistes solides qui nous permettront d’utiliser notre modèle comme un outil d’aide à la décision utile aux autorités et à la population sénégalaise », conclut Damien Jacques.

Haut depage