La création d’une Agence spatiale est à l’ordre du jour en Belgique. Du moins chez les industriels, les centres de recherche et les universités du pays actives dans ce secteur. Ces différents acteurs de la recherche et du développement de technologies spatiales viennent de le préciser aux formateurs du prochain gouvernement fédéral belge.
Nuances nord-sud sur le projet
Dans trois notes signées par les associations fédérales et régionales Belgospace, Wallonie Espace et Vlaamse Ruimtevaartindustrie (VRI), ces spécialistes du spatial réclament plus de moyens, et à titre subsidiaire, la création d’une Agence spatiale.
« Si une réforme de l’administration est prévue dans le programme du nouveau Gouvernement, le moment est venu aussi de revoir la gouvernance du spatial en Belgique, à l’instar par exemple de ce qui s’est fait dans tous les autres pays européens qui se sont dotés d’une agence spatiale nationale », écrivent Thierry du Pré-Werson, président de Belgospace et Patrick Bury, président de Wallonie Espace, dans leur note respective.
L’association flamande VRI est plus nuancée sur l’opportunité de créer une Agence spatiale belge. « Nous croyons que le renforcement de la gestion des investissements publics (dans le domaine spatial) pourrait passer par la création d’une agence comme il en existe dans de nombreux autres pays », indique-t-elle. Tout en rappelant avoir déjà mis cette idée sur la table il y a 15 ans, le VRI indique qu’en ce qui concerne ce renforcement de la gestion du spatial au niveau fédéral, la création d’une telle agence n’est pas strictement nécessaire . Cela pourrait aussi passer par le renforcement des moyens actuels au niveau fédéral. C’est à dire : la Politique scientifique (BELSPO) qui gère depuis toujours les moyens publics dans ce domaine.
Améliorer la gestion fédérale actuelle
C’est précisément la gestion des programmes spatiaux et la représentation de la Belgique sur la scène internationale qui motivent aujourd’hui les différents acteurs du spatial à se manifester.
« Faire évoluer la structure publique vers la création d’une agence spatiale est aujourd’hui indispensable », explique Thierry du Pré Werson, par ailleurs à la tête de la société Spacebel, active dans l’informatique et les systèmes spatiaux. « La gestion actuelle au niveau fédéral n’est plus suffisante. Il faut monter en puissance, aller de l’avant et dépasser des difficultés internes à l’administration ».
« Quelles difficultés ? », s’insurge Jacques Nijskens, le responsable du service spatial à la Politique Scientifique fédérale. « La motivation est intacte dans mon équipe », ajoute-t-il. « Nous sommes et nous restons motivés par ce secteur qui allie recherche et innovations technologiques et qui en outre est porteur d’emplois dans le pays ».
M. Nijskens concède cependant qu’une clarification des statuts des collaborateurs de son service s’avère nécessaire, de même qu’une équipe plus étoffée. Mais que cela n’est pas aisé dans le cadre institutionnel actuel.
Les Belges, des interlocuteurs de seconde zone ?
C’est là que le bât blesse. L’administration n’apparaît plus assez efficace aux yeux des industriels. Une agence serait-elle mieux armée ? « La Belgique est un des rares pays européens à ne pas disposer de son agence spatiale. Cela nous crée un problème de visibilité sur la scène internationale », explique Patrick Bury, directeur général adjoint de ThalesAlenia Space (ETCA) à Charleroi.
« Quand les agences spatiales françaises, allemandes ou italiennes sont présentes à une négociation, nous ne sommes représentés que par des délégués du gouvernement belge. Cela passe parfois mal. Nous avons l’impression d’être relégués dans une autre catégorie d’interlocuteurs ».
« Le secteur spatial belge se contente d’un ministre de tutelle et d’une administration fédérale certes stable mais actuellement sous-équipée pour nous représenter.
Ce qui nous inquiète aujourd’hui, c’est le risque d’assister à une réforme complète de l’administration fédérale qui serait préjudiciable au secteur », renchérit Patrick Bury. « Pour nous, c’est clair. Le moment est venu de créer une agence spatiale belge ».
Intégration des trois instituts fédéraux d’Uccle
« L’idéal serait de mettre en place une agence fédérale, dotée d’une grande autonomie couplée à un contrat de mission clair », indique Michel Stassart (Skywin).
Cette Agence pourrait accueillir en son sein certains acteurs institutionnels du secteur, comme les institutions scientifiques fédérales du secteur. En clair, les trois instituts spatiaux du plateau d’Uccle: l’Institut Royal météorologique, l’Observatoire Royal de Belgique et l’Institut d’Aéronomie spatiale de Belgique, qui ensemble forment le Pôle Espace de la Politique Scientifique Fédérale.
Il reste encore à imaginer le rôle des Régions dans cette nouvelle structure. Et de la répartition des moyens entre les entreprises et les chercheurs de Bruxelles, du nord et du sud du pays.
Les plans des industriels sont clairs. Les formateurs vont-ils y être réceptifs ? La question est éminemment politique. Aujourd’hui, l’Agence spatiale belge n’est pas sur le point de décoller. Mais elle se retrouve dans des notes politiques. En coulisse, manifestement, on affine le projet. S’il devait aboutir, cela pourrait signifier un premier détricotage en règle de la Politique scientifique fédérale. En perdant le spatial, elle serait aussi amputée d’un tiers de son budget et d’une bonne partie de ses prérogatives…
Réaction : “Cette agence ne pourra qu’être confédérale”
Philippe Mettens, le président du Conseil de direction de la Politique scientifique fédérale ne mâche pas ses mots face à ce projet d’Agence spatiale belge portée par les industriels.
« D’un point de vue opérationnel, c’est une erreur, un projet inutile et couteux qui n’apportera rien de plus que ce que la structure actuelle, souple et réactive, permet déjà », dit-il.
D’un point de vue plus politique, il met en garde. « Si on touche à ce volet de la Politique scientifique fédérale, dans le contexte politique actuel, c’est ouvrir la boîte de pandore. L’Agence spatiale belge qui naîtrait de ce genre de réforme ne pourra être que confédérale et non fédérale. Et cela, les Régions s’en mordront les doigts. »
La Politique scientifique fédérale gère depuis toujours les moyens publics belges alloués au secteur spatial. Une succès story, comme le notent paradoxalement les industriels dans leur dernier rapport annuel (Belgospace 2013) et qui plaidaient pour un renforcement de la Politique scientifique dans ce contexte.
« Les intérêts de la Belgique auprès de l’ESA doivent plus que jamais être défendus par une délégation efficace. Pour ce faire il est indispensable que les Pouvoirs publics dégagent les moyens nécessaires pour permettre au Service de la politique scientifique de remplir sa mission de manière efficace », indiquait l’ancien président de Belgospace, en guise d’introduction au rapport.
Le budget actuel du spatial fédéral est de l’ordre de 200 millions d’euros par an. Chaque euro investi par l’Etat dans ce secteur rapporte, en retours et commandes industrielles pour les entreprises belges et leurs partenaires académiques entre 3 et 5 euros.
Note
Cet article a été modifié le 18 septembre à 20h23. Les propos “Le secteur spatial belge se contente d’un ministre de tutelle et d’une administration fédérale certes stable mais actuellement sous-équipée pour nous représenter” y étaient erronément attribués à M. Michel Stassart, directeur du secteur spatial chez Skywin, le pôle de compétitivité aérospatial wallon.