« ExpoPorno » : la recherche à l’ULB ne connait pas de tabou

18 octobre 2018
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

Le titre de l’exposition temporaire qui vient de démarrer à l’Université Libre de Bruxelles (Salle Allende, campus du Solbosch) est on ne peut plus explicite: « ExpoPorno ». Et il en va de même des objets et des textes exposés.

« Mais attention », prévient le Pr Laurence Rosier, commissaire de l’exposition. « Cette exposition privilégie une approche autant scientifique qu’artistique et ludique de la pornographie… »

Si l’accès à la salle Allende est toutefois déconseillé au moins de 16 ans, une question vient naturellement à l’esprit. Faire de la Science avec la pornographie, comment la professeure du Centre de recherche en linguistique de la Faculté de Lettres, Traduction et Communication envisage-t-elle les choses?

Il existe depuis 30 ans des « porn studies. C’est-à-dire un domaine qu’on étudie de façon interdisciplinaire à l’université. C’est un objet historique, un objet culturel, un objet économique, un objet artistique… Cela a donc tout à fait droit de citer dans une université.

Pourquoi proposer une telle exposition à l’ULB?  

Mais parce que bien souvent le discours social aujourd’hui c’est « attention au porno ». Parce que souvent, pour les jeunes d’aujourd’hui, les premiers contacts avec la pornographie, c’est un clic sur Internet. Et que les seules solutions qu’on propose passent par la surveillance parentale, l’interdiction voire la censure.

Quelle démarche avez-vous suivie?

Nous avons voulu remonter dans l’Histoire et présenter une histoire de la pornographie, au-delà de la sexualité. La pornographie, c’est aussi l’histoire de la censure. Nous avons donc travaillé avec une historienne, un architecte spécialiste dans les rapports entre ville et plaisirs, et une spécialiste du cinéma.

Nous sommes partis du Marquis de Sade pour arriver à aujourd’hui, en interrogeant la littérature de l’époque, le droit de l’époque et en essayant d’illustrer avec des œuvres artistiques qui me semblent être une très bonne médiation pour illustrer la sexualité, la nudité, la pornographie.

Entre Sade et le XXIe siècle, il y a tout de même de sérieuses différences, non?

En réalité, on parle toujours de la même chose. Mais la signification et les effets ont changé. Sade pratique une pornographie qui est extrêmement politique et philosophique. Il y a un message qu’on ne retrouve pas dans les sites de « Jacquie et Michel », bien entendu.

Cette exposition poursuit donc un but éducatif?

Elle s’adresse à un vaste public. Notamment aux étudiants et aux étudiantes, mais aussi aux élèves des deux dernières années du secondaire, aux gens des plannings (familiaux), aux éducateurs… Il faut parler de sexualité. Il faut dédramatiser et apprendre aux jeunes à se construire un imaginaire érotique et pornographique. On sait que les jeunes aiment regarder des films violents. Il y a un âge pour cela. Après, il faut qu’il passe le cap symbolique. Ce n’est évidemment pas cela le réel. Nous voulons déconstruire ici la pornographie. Des psychologues nous disent que c’est très bien de porter ce sujet sur la place publique, au moyen d’une exposition, qui est artistique, même si il y a des choses très crues, très triviales et même très obscènes.

Certaines pièces présentées proviennent des bibliothèques de l’ULB?

Effectivement. Chaque bibliothèque à son enfer. Et notre bibliothèque a elle aussi un joli enfer. Pas mal d’œuvres provenant de sa réserve précieuse, mais aussi du Fonds Marcel Mariën, historien du surréalisme, mais aussi grand pornographe.

Pr Rosier, quel intérêt une linguiste telle que vous a trouvé d’intéressant dans l’élaboration de cette exposition?

Je suis analyste de discours. Tous les discours m’intéressent, et en particulier ceux qui gênent, ceux qui relèvent du tabou, mais qui se disent quand même, d’une autre manière ou de façon clandestine. Ce sont les modes de circulation des discours qui m’intéressent. C’est en cela que la pornographie retient toute mon attention.

 

 

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