Gecko léopard (Eublepharis macularius) © Matt Reinbold

La plus ancienne espèce de gecko d’Europe vivait en Belgique

18 octobre 2022
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Il y a 56 millions d’années, des geckos grands d’une quinzaine de centimètres vivaient à l’état sauvage dans une Belgique alors soumise à un climat tropical. Cette nouvelle espèce de lézard, la plus ancienne jamais trouvée en Europe, vient d’être décrite par Dre Annelise Folie, paléontologue à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, et Andrej Čerňanský, paléontologue à l’Université Comenius de Bratsislava. Ils l’ont baptisée Dollogekko dormaalensis, en hommage au célèbre paléontologue belge, Louis Dollo.

Une morphologie unique

Tout est parti d’un unique os frontal grand d’à peine 1 centimètre découvert à Dormaal, un hameau de la commune belge de Zouteleeuw, dans le Brabant Flamand. Et daté de l’Eocène précoce.

Comment peut-on déterminer une nouvelle espèce sur base de ce seul indice fossile ? « Certains animaux ont des os caractéristiques. C’est le cas de l’os frontal, mais aussi de la mâchoire inférieure et supérieure des geckos. Les os du crâne de chaque espèce de gecko ont une morphologie particulière », explique Dre Folie.

« Prenons le crâne humain : il a toujours la même forme, mais il existe de petites différences entre individus, que l’on appelle variations intraspécifiques. Elles ne justifient pas la création d’un nouveau genre ou d’une nouvelle espèce. Dès lors, quand on étudie un os, on doit faire très attention: les différences observées sont-elles significatives et permettent-elles d’établir une nouvelle espèce ?  Ou est-ce simplement une légère variation au sein d’une espèce déjà décrite ? »

« L’os frontal de gecko que nous avons étudié a été comparé à d’autres os frontaux de geckos anciens. Nous avons pu constater de grosses différences au niveau de l’ornementation et de l’épaisseur de l’os latéral. Il s’agit d’un os en forme de sablier. Chez la nouvelle espèce, le rétrécissement est intermédiaire entre des formes très serrées et des formes plus larges présentes chez d’autres espèces de geckos. Ces éléments nous permettent d’affirmer qu’il s’agit d’une nouvelle espèce », poursuit la paléontologue.

Os frontal de gecko Dollogekko dormaalensis: (a) vue dorsale, (b) ventrale, (c) latérale droite, (d) latérale gauche et (e) antérieure © A. Čerňanský et al.

De précieuses fouilles menées par des paléontologues amateurs

Cette nouvelle espèce de gecko a été baptisée Dollogekko dormaalensis. Le nom du genre, Dollogekko, a été choisi en honneur du paléontologue belge Louis Dollo (1857 – 1931), connu principalement pour ses recherches sur les dinosaures, y compris les Iguanodons qui se trouvent à au Muséum des Sciences Naturelles de Belgique. Sa spécialité était l’anatomie des poissons et reptiles fossiles, incluant les tortues, les mosasaures, les serpents, les lézards et les dinosaures.

A l’heure actuelle, Dollogekko dormaalensis ne compte qu’un seul individu, mais d’autres fossiles attendent d’être décrits. «Avec Andrej Čerňanský, jeune chercheur slovaque, nous sommes occupés à revoir tous les lézards découverts lors des fouilles à Dormaal. »

Les dernières en date, celles qui ont permis la découverte de l’os frontal de gecko, ont été organisées début des années 90’. « Depuis, il n’y a plus eu de campagnes. Et ce, car les chercheurs doivent continuellement se battre pour obtenir des financements. La plupart du temps, plus la fouille proposée est exotique et lointaine, plus elle a de chance d’être financée », se désole la conservatrice des collections de paléontologie.

C’est ainsi que la plupart du temps, les découvertes paléontologiques faites en Belgique le sont par des amateurs. L’os frontal de gecko a ainsi été découvert par Richard Smith, un instituteur. Passionné de fossiles de mammifères, il était allé négocier avec un agriculteur pour pouvoir faire un grand trou carré de 10 mètres de côté, et de 3 mètres de profondeur dans son champ.

« Il a ainsi pu faire une fouille très minutieuse, repérant couche géologique par géologique, l’illustrant de très nombreuses photos. Il a ramené pas moins de 24 tonnes de sédiments chez lui, et a mis environ 7 années pour laver le matériel, le tamiser (avec des mailles très fines de 0,85 mm de diamètre) et le trier, grain par grain, sous un microscope. Un véritable travail de patience », explique Dre Annelise Folie.

Richard Smith a ainsi trouvé des os fossilisés d’oiseaux, de lézards, de grenouilles, de salamandres, d’un grand nombre de mammifères, mais aussi de très rares minuscules vertèbres de serpents vieux de 56 millions d’années. « C’est une chance de pouvoir avoir accès à la collection de ce paléontologue amateur. »

Le retour annoncé du gecko ?

A l’Eocène précoce, au plus précisément au maximum thermique Paléocène-Eocène (il y a 56 millions d’années), ce qui deviendra bien plus tard la Belgique, était baignée dans un climat tropical. Bien que quasiment à la même latitude qu’aujourd’hui, la température y était un peu plus élevée que celle rencontrée de nos jours sur le pourtour méditerranéen.

Le niveau des mers était bien plus haut qu’actuellement, beaucoup de régions d’Eurasie étaient inondées. Et l’Europe était un archipel composé de plusieurs îles. Outre des geckos, la faune locale comprenait alors des petits singes, des crocodiles et de très nombreux poissons.

« Avec le changement climatique global, et la remontée déjà bien documentée des espèces (notamment de vertébrés et d’insectes) du sud vers le nord, il se pourrait qu’à l’avenir, les prochaines générations recroisent des geckos à l’état sauvage en Belgique. » Actuellement, il y en a, en effet, en Italie et sur le pourtour méditerranéen.

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