Anne Morelli (ULB) et Jeffrey Thyssens (VUB) présentent un panorama de la disparition des religions. De l’Antiquité à l’effondrement du catholicisme en Europe occidentale. Le thème du premier colloque international de Babel, l’Association belge pour l’étude des religions est développé avec des chercheurs de leurs universités. Et de la KULeuven, l’UCLouvain, l’UGent, l’Université de Reims, l’Institut d’études politiques à Paris. Dans «Quand une religion se termine…»,aux Éditions modulaires européennes (EME) basées à Louvain-la-Neuve.
Ce thème a fait froncer des sourcils raconte, en anglais, Joseph Verheyden, professeur à la faculté de théologie et d’études religieuses de la KULeuven, président de Babel. Tant chez des membres de l’association que parmi d’autres collègues. Choisir ce sujet pouvait paraître étrange pour des chercheurs qui préconisent l’approche scientifique dans l’étude historique, sociale et comparée des religions. Cela n’augurait rien de bon pour l’avenir. Le comité organisateur du colloque avait longuement réfléchi à la question. Il avait conclu qu’on s’attaquait à un problème éternel.
« Skyper » pour égrener le chapelet
«Il y a plus de 30 ans déjà que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’était penchée sur la question des édifices religieux désaffectés», relève Anne Morelli, professeure honoraire de l’Université libre de Bruxelles.
L’expert anglo-allemand Angus Fowler concluait à la sous-utilisation des églises catholiques et des temples protestants. Entre 1969 et 1985, 266 églises anglicanes avaient été démolies, 89 confiées à d’autres communautés religieuses, 111 converties en habitations, 587 abritaient des activités culturelles, artistiques, sportives. Ou des bureaux, des magasins, des industries légères, des entrepôts.
«À l’époque, la solution anglicane semblait scandaleuse», relate l’ancienne directrice du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’ULB. «Le rapport dénonçait ainsi comme mutilation la division en deux étages de la chapelle de Lincoln College à Oxford pour la transformer en bibliothèque.» Toute nouvelle réaffectation des églises devait respecter les intentions qui avaient présidé à leur édification.
Les églises catholiques ont continué à se vider. Faute de paroissiens, le coût d’entretien est devenu disproportionné. En Belgique, des quartiers de grandes villes sont devenus musulmans. L’évêque auxiliaire de Bruxelles a proposé aux 2.000 derniers catholiques flamands de la capitale de se rassembler dans une dizaine d’églises. Un prêtre bruxellois a suggéré aux croyants de se retrouver virtuellement sur skype pour égrener collectivement le chapelet.
Des disparitions annoncées
Les dieux ont quitté l’Égypte… Michèle Broze (ULB) cite Asclepios, le dieu grec de la médecine, identifié à Esculape par les Romains. «Un temps viendra où il paraîtra que les Égyptiens ont en vain servi le divin, avec un intellect pieux, par une religion sincère. Égypte, Égypte, il ne restera de tes pratiques religieuses que des histoires et pour tes descendants, elles seront sans crédibilité.» La religion égyptienne traditionnelle finit par disparaître. Pour la chercheuse qualifiée FRS-FNRS, la fin de la civilisation égyptienne était inévitable dès que l’Égypte s’est christianisée. Est devenue monothéiste.
«Antique mère des temples païens, Rome désormais vouée au Christ, Laurent t’a conduite à la victoire, au triomphe sur les rites barbares». «Voilà ce qu’écrit lyriquement, dans sa Passion du martyr romain Laurent, le poète chrétien Prudence», explique le chercheur FRS-FNRS Vincent Mahieu du Centre d’étude des mondes antiques de l’UCLouvain. «Il est vrai qu’un des principes pouvant expliquer la disparition d’une religion réside dans l’installation d’un nouveau mouvement». Rome constitue une exception. Des lieux dédiés au christianisme voisinent avec des sites culturels romains.
L’hégémonie religieuse est minée
Jeffrey Thyssens rappelle, en anglais, que la Belgique a été un bastion de la libre-pensée pendant la seconde moitié du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe. Le professeur d’histoire politique contemporaine à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) axe sa contribution sur l’infidélité militante, la panique morale et les premières sociétés laïques belges. Selon le spécialiste de la franc-maçonnerie, le mouvement des libres-penseurs était loin d’être un monolithe athée. Il n’avait pas les dimensions menaçantes qu’on lui prêtait. Son progressisme, son scientisme, sa croyance dans les effets positifs d’une liberté de conscience généralisée rendaient presque inévitable la disparition de la religion révélée. Et l’affaiblissement de l’hégémonie des groupes confessionnels qui avaient été moralement dominants.