« Vendredi matin, le ciel sera caractérisé principalement par une abondance de champs nuageux bas opaques ». Les prévisions météorologiques de l’Institut Royal météorologique (IRM) pour la Belgique ne sont guère réjouissantes pour la matinée du 20 mars. L’éclipse de Soleil qui doit se produire vendredi entre 9h28 et 11h47 (avec un maximum prévu à 10h36 en Belgique) risque de laisser les amateurs de spectacles célestes sur leur faim.
Sauf pour les plus avisés qui se brancheront sur le site de l’Observatoire Royal de Belgique. Ils pourront y suivre en direct l’éclipse (partielle sous nos latitudes) telle qu’observée depuis l’espace, par une série de télescopes en orbite, mais aussi par des instruments au sol, dont le radiotélescope de l’Observatoire, situé à Humain, une entité de la commune de Marche-en-Famenne, en province de Luxembourg.
“A l’ère des télescopes spatiaux, il peut sembler étrange de suivre des éclipses de Soleil depuis le sol pour en apprendre davantage sur notre étoile”, explique le Dr Frédéric Clette, chercheur en physique solaire à l’Observatoire Royal de Belgique. “Pour certains types de données, cela reste aujourd’hui encore des rendez-vous de choix.”
La basse couronne sous surveillance
« C’est notamment le cas quand on étudie la couronne solaire, comme on le fait à Uccle, siège de l’ORB ou encore à Humain, en Wallonie, où se situe notre radiotélescope », précise le scientifique.
“La couronne est la partie du Soleil qui commence à la surface de l’étoile et qui s’étend bien au-delà de l’orbite de la Terre”, continue le Dr Clette. “Elle est nettement moins lumineuse que le Soleil dans la rayonnement visible. Avec les satellites d’observation munis d’un coronographe, une sorte de masque qui occulte le disque solaire et qui “éclipse” donc artificiellement l’étoile, nous n’avons accès à la couronne que bien au-delà de sa connexion avec la surface du Soleil”.
Un intérêt particulier pour la « tuyauterie énergétique » du Soleil
Pour des raisons d’éblouissement pourrait-on dire, ces coronographes spatiaux cachent en fait le Soleil sur plusieurs diamètres solaires. Or, pouvoir observer les phénomènes qui se produisent à l’interface entre la surface solaire et les couches basses de la couronne est primordial si on veut comprendre la dynamique solaire. D’où l’intérêt des observations lors d’une éclipse.
“Il se passe énormément de choses dans cette zone, au niveau de l’architecture des champs magnétiques du Soleil, des sources du plasma, de l’énergie, de la chaleur à la surface du Soleil”, précise le scientifique. “Cela nous permettrait de mieux comprendre pourquoi la couronne est chauffée à un million de degrés alors que le Soleil ne chauffe qu’à quelques milliers de degrés. Mieux cerner ces phénomènes nécessite qu’on puisse observer comment la tuyauterie énergétique se connecte à la surface de l’étoile.”
Le télescope SWAP sur le satellite PROBA 2
“Dans le même ordre d’idée, lors d’une éclipse nous pouvons également observer depuis le sol les ondes qui se propagent dans la couronne à très hautes fréquences”, précise le spécialiste du Soleil à l’Observatoire Royal de Belgique. “C’est à dire très rapidement. Dans l’espace, la mémoire de bord des satellites est limitée. Ce genre d’enregistrements est donc difficile. Au sol, nos moyens informatiques sont plus puissants”. C’est un autre intérêt des éclipses.
Outre un télescope optique situé à Uccle, les chercheurs de l’Observatoire vont pouvoir suivre l’éclipse grâce à l’instrument SWAP, installé à bord du petit satellite belge PROBA 2. Le centre de contrôle (science operations center) dédié aux opérations scientifiques de la mission PROBA-2 est en effet géré par les astronomes de l’Observatoire.
SWAP est un télescope spatial fonctionnant dans l’ultraviolet lointain. Il livre des images telle celle qui illustre la tête de cet article. Il s’agit de l’éclipse de Soleil du 23 octobre 2014.
Les observations par satellites vont aussi se concentrer sur les variations induites par l’éclipse sur l’ionosphère, cette couche de notre haute atmosphère très sensible au « vent solaire », le flux de particules chargées que nous envoie le Soleil en permanence.
Cap sur PROBA 3
L’avenir de l’observation spatiale du Soleil se dessine déjà. Et il passera encore par la Belgique. Une des prochaines missions des petits satellites belges PROBA, réalisés dans le cadre de l’Agence spatiale européenne, devrait offrir un nouveau point de vue aux astronomes intéressés par le Soleil.
PROBA 3 comprendra un système à deux satellites volant en formation lâche. Un premier engin jouera le rôle de coronographe à plus d’une centaine de mètres du second engin, contenant le télescope. Avec cette distance, la zone occultée du Soleil devrait descendre à 1,1 fois seulement le diamètre du disque solaire. Ce sera un réel progrès, estime Frédéric Clette, qui conclut: “ce sera le premier coronographe qui permettra de donner quasi des images similaires à celles qu’on peut observer du sol lors des éclipses naturelles”. Le décollage de PROBA 3 est prévu fin 2018.