La peste se propage à Athènes pendant l’été 430 avant notre ère. «Dans l’Antiquité, le premier à décrire par le menu une épidémie est l’historien grec Thucydide», précise Henri Deleersnijder. Le professeur d’histoire visite les fléaux qui ont marqué les sociétés occidentales dans «Les grandes épidémies dans l’histoire» aux éditions Mardaga. Le collaborateur scientifique à l’ULiège décortique leurs mécanismes. Décrit les bouleversements sociopolitiques qu’ils ont produits. En parallèle avec la crise sanitaire actuelle.
L’historien appuie son essai sur des témoignages, des œuvres littéraires. «Plonger dans le passé offre toujours plus d’attrait lorsque cette exploration s’enrichit d’une densité humaine», dit-il. «Appel fréquent sera fait aux spécialistes d’un champ d’études où, jusqu’à une date relativement récente, il y avait assez peu d’arpenteurs.»
Des reclus, pas des exclus
En un peu plus de deux siècles, 18 vagues de peste envahissent l’Empire romain. Et principalement le pourtour méditerranéen traversé par des voies commerciales. Dans la seconde moitié du XIIe siècle, les Liégeois soutiennent leurs concitoyens accablés par la lèpre. Ils ouvrent une léproserie.
«Le Moyen Âge a, en effet, connu des marques profondes de solidarité, une dimension bien présente dans son art de vivre», relève le chercheur spécialisé en histoire des idées, science politique et des médias. Henri Deleersnijder cite Daniel Le Blévec. Pour ce chercheur du Centre d’études médiévales de Montpellier, «ces communautés lépreuses vivant en maladrerie constituaient bien une société de reclus, non une société d’exclus».
La vaccination fait chuter le nombre de décès
Au XIXe siècle et au XXe siècle, les campagnes de vaccination font chuter vertigineusement le nombre de victimes du virus de la variole. «Et ce, malgré diverses superstitions et forces d’inertie opposées aux vertus de la science et de la raison», souligne Henri Deleersnijder. «Les plus âgés parmi la population belge portent, le plus souvent à l’épaule gauche, une cicatrice de cette vaccination.»
La variole éliminée des pays développés, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lance une campagne de vaccination mondiale en 1959. «Une grande partie de l’humanité restait exposée avec, par an, 50 millions de cas et approximativement 2 millions de décès», raconte Frédéric Tangy, directeur du Laboratoire d’innovation vaccinale à l’Institut Pasteur de Paris, dans «L’Homme façonné par les virus». Livre paru chez Odile Jacob. Écrit en collaboration avec Jean-Nicolas Tournier, chef du département « Microbiologie et maladies infectieuses » à l’Institut français de recherche biomédicale des armées.
«C’est l’URSS qui a fourni la plus grande partie des doses de vaccin pour la planète», note le Pr Tangy. «Et les équipes de médecins engagés parcouraient le monde au mépris du danger pour vacciner en masse dans des pays instables, des régions reculées, avec une logistique rudimentaire.»
La variole est morte
En 1980, lors de son assemblée générale, l’OMS proclame l’éradication du virus de la variole qui a tué 300 millions de personnes au XXe siècle. «Soit près de 4 millions par an en moyenne», précise le virologue dont le laboratoire a développé une technologie qui permet de générer des vaccins contre le chikungunya, le Zika, la fièvre de Lassa. «Au cours de l’année 2020, par comparaison, la Covid-19 en a tué 1,7 million.»
Selon le chercheur impliqué dans la conception d’un vaccin contre le SARS-CoV-2 (virus responsable de la Covid-19) à l’Institut Pasteur, «ce fut un événement fondateur dans l’histoire de l’humanité. Dont les répercussions furent bien plus importantes que celles du premier homme à marcher sur la Lune.»
Des infections virales disparaissent subitement
Du printemps 1918 au printemps 1919, le virus de la grippe espagnole a tué environ 50 millions de personnes. Et a disparu subitement après 1920…
«Les infections virales aiguës sont fugaces», confirme Frédéric Tangy. «Et les virus à ARN, comme ceux de la dengue, de Zika, de la fièvre jaune, de la grippe ou encore de la Covid-19 et bien d’autres, se multiplient rapidement dans l’organisme en quelques jours avant de disparaître. Souvent avant la survenue même des symptômes.»
«On a fini par retrouver la séquence du virus d’origine de la grippe espagnole, après une traque de plusieurs années, sur des restes de poumon de militaires américains conservés dans de la paraffine. Et sur ceux d’une victime inuit enterrée dans le permafrost de l’Alaska.»
Le coronavirus à l’origine de la Covid-19 semble se plaire chez les humains… «Il s’y est adapté très vite par un petit nombre de mutations qui n’ont aucune raison de disparaître si le virus n’est pas combattu au plan moléculaire par nos propres anticorps. Tant qu’une grande proportion d’humains ne sera pas vaccinée, ce nouveau virus a potentiellement la capacité d’infecter toute la population humaine.»