Grotte tapissée de Lait de lune ©Vincent Gerber

Un nouvel antibiotique découvert dans une grotte de Comblain-au-Pont

19 avril 2023
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Des centaines, probablement des milliers, de souches bactériennes capables de produire tout autant de molécules d’intérêt thérapeutique. C’est la surprenante découverte qu’ont récemment réalisée des chercheurs du Centre d’Ingénierie des Protéines de l’ULiège dans une grotte de Comblain-au-Pont (Province de Liège). Une cavité calcaire connue pour abriter un minéral particulier, réputé en médecine traditionnelle pour ses propriétés anti-infectieuses : le lait de Lune.

Les bactéries, ces alliées pour développer de nouveaux traitements

« Le travail réalisé dans notre laboratoire vise à comprendre comment le matériel génétique des bactéries leur permet de s’adapter et de se développer dans différentes niches environnementales », indique Sébastien Rigali, bactériologiste moléculaire et maître de recherches FNRS au Centre d’Ingénierie des Protéines de l’ULiège.

Les chercheurs étudient surtout les bactéries appartenant au genre Streptomyces. « Elles ont la capacité génétique, assez extraordinaire, de produire énormément de métabolites secondaires, tels que des antibiotiques, des antifongiques, des anticancéreux, etc. ». Cette propriété leur sert, entre autres, à se protéger d’autres bactéries ou champignons, à réguler leur prolifération, ou encore à être plus compétitives pour l’accès aux nutriments.

Pour l’humain, les Streptomyces et autres actinobactéries représentent encore aujourd’hui une source unique pour développer des médicaments. « Des centaines de molécules que l’on utilise aujourd’hui à des fins thérapeutiques proviennent de ces bactéries », rappelle le scientifique.

Il y a environ 10 ans, le Pr Rigali commence à s’intéresser à un milieu a priori inhospitalier pour ces bactéries : les grottes calcaires. Il est particulièrement intrigué par un type de formations minérales présent dans certaines de ces cavités, plus ou moins tendre selon sa teneur en eau, connu sous le nom de lait de Lune.

Une roche gorgée d’antibiotiques

« A l’époque, il y avait très peu d‘informations à son sujet. On avait, toutefois, trouvé dans la littérature des preuves archéologiques et historiques de l’utilisation de ce minéral en médecine traditionnelle, principalement dans les montagnes autrichiennes et suisses, pour limiter le développement d’infections », fait savoir le Pr Rigali.

Lui et son équipe tentent alors de savoir s’il est possible de légitimer les prétendues propriétés thérapeutiques du lait de Lune, en y caractérisant sa flore microbienne et les possibilités de celle-ci à produire des antibiotiques.

Pour ce faire, les scientifiques réalisent des prélèvements dans une grotte à Comblain-au-Pont connue pour accueillir ce dépôt minéral. En analysant leurs échantillons en laboratoire, les chercheurs y découvrent de nombreuses populations différentes de bactéries, dont de nombreux Streptomyces. « L’importance de leur diversité nous a assez surpris, étant donné l’environnement presque totalement minéral dans lequel ces bactéries se développaient. »

En s’intéressant à leur génétique, ils se rendent compte que ces bactéries sont non seulement capables de produire des centaines de molécules d’intérêt thérapeutique, mais aussi de nombreuses nouvelles molécules. L’étude d’une de ces nouvelles bactéries, baptisée Streptomyces lunaelactis, a ainsi permis la découverte de la lunaemycin, un antibiotique actif contre les bactéries Gram-positives multirésistantes.

Streptomyces lunaelactis​ © ULiège

La grande pharmacopée de la nature

« C’est le premier nouvel antibiotique issu du lait de Lune. Et, statistiquement, la probabilité qu’on trouve d’autres molécules antibiotiques est très élevée », assure le bactériologiste.

Exploiter le potentiel des bactéries découvertes dans la grotte de Comblain-au-Pont, en vue de dénicher d’autres molécules prometteuses, sera l’objectif de la société HEDERA-22. Une spin-off de l’ULiège active dans la recherche et le développement de produits innovants basés sur l’utilisation de nouvelles molécules naturelles pour le secteur pharmaceutique ou l’agro-industrie.

Selon le Pr Rigali, les résultats de cette étude attestent que la nature constitue un large réservoir de molécules aux vertus thérapeutiques, qu’il serait pertinent de davantage explorer. « Nous allons d’ailleurs continuer à nous inspirer du milieu naturel et de la médecine traditionnelle dans nos prochaines recherches », conclut le chercheur, qui espère que d’autres microbiologistes suivront également cette voie.

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