Relation tumultueuse entre humains et microbes

19 avril 2024
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« Microbes sans frontières », par Philippe Sansonetti. Editions Odile Jacob. VP 27,90 euros, VN 22,99 euros

C’est le Covid-19 qui a décidé Philippe Sansonetti à écrire «Microbes sans frontières». Le professeur émérite de l’Institut Pasteur et au Collège de France raconte la relation tumultueuse entre humains et micro-organismes unicellulaires dans ce livre publié aux éditions Odile Jacob.

Fin de la pandémie, pas du Covid-19

Le 6 mai 2023, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) annonce la levée du niveau maximal d’alerte mondiale face à la pandémie de Covid-19, déclarée avec retard le 30 janvier 2020. C’est la fin du Covid-19? «Certainement pas», affirme le membre de l’Académie française des sciences, conférencier au Collège Belgique. «C’est seulement la fin de l’état de pandémie. La durée de la protection immunitaire par la maladie naturelle et la vaccination est relativement courte. Et le virus qui circule – même à bas bruit – n’a pas perdu sa capacité de muter et de générer de nouveaux variants. Il le fait d’ailleurs, obligeant à réajuster régulièrement le vaccin. Donc, sans vouloir jouer les Cassandre, une reprise épidémique est probable dans les mois à venir dont l’intensité est imprévisible.»

«Hormis les mesures-barrière dont l’application est difficile, la solution est le maintien de la surveillance épidémiologique et la prévention vaccinale.»

Le Covid-19 a aussi aggravé l’iniquité sanitaire entre les populations. «Pas seulement entre Nord et Sud, mais au sein même de nos pays nantis.»

Risque élevé de pandémie grippale

Peut-on prédire les futures pandémies? «Il peut y avoir un saut direct lors duquel un virus adapté à une espèce animale éloignée de l’espèce humaine passe directement chez l’homme», explique Philippe Sansonetti. «Il est rare, dans ces conditions, que le saut soit couronné de succès. Autre hypothèse, plus vraisemblable: un saut indirect impliquant recombinaison ou réassortiment génétique dans un virus déjà adapté à l’homme.»

«Le Covid-19 ne doit pas nous détourner du risque élevé de nouvelle pandémie grippale. Les modifications génomiques qu’il serait nécessaire à un virus influenza de grippe aviaire d’acquérir pour assurer cette transmissibilité interhumaine – ou pour le moins inter-mammifère – ne sont que partiellement élucidées. Le déchiffrage de ces modifications est un sujet essentiel. Mais extrêmement sensible, car il répond en partie à des approches expérimentales.»

Un monde sans microbes

Depuis la Préhistoire, la santé humaine est menacée par des microbes pathogènes qui représentent moins de 1% de la diversité des espèces microbiennes. Et si on arrivait à éradiquer les microbes? Selon le Pr Sansonetti, «la seule conséquence favorable, a priori, serait la disparition des maladies infectieuses d’origine bactérienne.»

«Encore que… demeureraient les infections fongiques, par des champignons, et virales. Ces dernières pourraient même être aggravées par l’absence de bactéries, tant il est maintenant évident que le microbiote exerce un effet protecteur contre les infections, y compris virales. Directement par l’établissement d’une barrière à la colonisation des surfaces muqueuses par d’autres pathogènes. Et indirectement par la stimulation des fonctions innées et adaptatives du système immunitaire.»

«La face cachée du monde microbien se révélerait cependant très rapidement du fait du rôle des bactéries dans l’équilibre des fonctions physiologiques fondamentales assurant croissance, développement et survie des êtres vivants. La rupture brutale d’une symbiose construite par 3 milliards d’années de coévolution créerait une situation de rupture sans précédent. Peu de solutions d’échappement existeraient sur le court terme. Il n’est cependant jamais interdit de rêver. Au moins pour certains écosystèmes particulièrement robustes et résilients…»

Infertilité, accroissement des cancers, des maladies génétiques

Le chercheur aggrave encore la situation. «La biodégradation naturelle des polluants dans l’environnement effectuée par les bactéries serait perdue. Avec un impact majeur, particulièrement dans les environnements industriels. Sur la qualité de l’eau, les stations d’épuration perdant une grande partie de leur capacité d’assainissement. Un accroissement massif de la génotoxicité environnementale, la toxicité causant des modifications de l’ADN, serait à craindre avec des conséquences sanitaires évidentes. Comme l’infertilité. L’accroissement des maladies génétiques et des cancers.»

«Pour finir», conclut Philippe Sansonetti, «ne négligeons pas le chaos social, les tensions et désordres planétaires liés à la pénurie massive en aliment et en eau potable. La réalité d’aujourd’hui, ce sont les changements climatiques. En particulier le réchauffement global de la planète. Et si c’était le cauchemar microbiologique à venir?»

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