De gauche à droite: Cyril André, Aymeric Allemand et Benoit Scheid, à bord de l'Airbus ZERO-G © Novespace

Des antibulles affranchies de la gravité

19 juin 2024
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

Objets fascinants et méconnus, les antibulles sont, comme leur nom l’indique, les exactes opposées des bulles. Si ces dernières se caractérisent par une fine membrane fermée de liquide, entourée de gaz à l’intérieur et à l’extérieur, les antibulles se composent d’une membrane de gaz, encapsulant du liquide, dans un liquide.

« Elles ont donc la capacité de produire (pour un temps) un film d’air entre deux surfaces liquides. Il n’existe aucun autre objet qui permet cela », fait savoir Benoit Scheid, Directeur de recherches FNRS au Laboratoire de Transferts, Interfaces et Procédés de l’Ecole polytechnique de Bruxelles.

En avril 2024, lui et ses collègues sont parvenus à générer ces antibulles en apesanteur lors de vols paraboliques encadrés par l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Une première mondiale, qui permet d’en apprendre davantage sur ces objets uniques. L’expérience s’insère dans le projet FNRS STABAB porté par le Pr Scheid, en collaboration avec l’ULiège.

Une antibulle © ULB

Un objet d’étude fugace

« STABAB est un projet de recherche fondamentale interuniversitaire, mené notamment avec Stéphane Dorbolo, Maître de recherches FNRS au département de physique de l’ULiège. C’est lui qui m’a fait découvrir les antibulles il y a 15 ans. Depuis, on travaille ensemble sur le sujet », précise le Pr Scheid. « Nos recherches étaient jusqu’ici très exploratoires. STABAB est le premier projet financé avec une équipe dédiée. ».

Le but de l’étude ? Développer des stratégies de stabilisation pour les antibulles aux échelles macro et micro. Car le défi actuel n’est pas tant de les former, que de prolonger leur durée de vie. « Pour en générer, on envoie un jet de liquide sur une interface à une vitesse qui lui permet de pénétrer cette interface en entraînant un peu d’air. La bulle se retrouve ainsi entourée d’un fin film d’air. Mais c’est très éphémère. »

De fait, après la formation de l’antibulle, l’air contenu dans sa membrane va rapidement s’écouler du bas vers le haut, sous l’effet de la gravité. On parle de drainage. « Celui-ci va provoquer l’amincissement de la partie inférieure du film. On passe ainsi de quelques microns d’épaisseur à une centaine de nanomètres, jusqu’à l’éclatement du film.»

Equipe du projet, à bord de l’Airbus ZERO-G, de gauche à droite : Benoit Scheid, Thomas Gemine, Stéphane Dorbolo, Cyril André et Aymeric Allemand © Christophe Min

Quitter la Terre pour mieux les observer

Une stratégie pour ralentir ce drainage consiste à créer l’antibulle en faisant tomber une goutte dans un bain d’huile chauffée à 120 degrés. « On a donc notre antibulle formée par ce mince film d’air, puis la chaleur du bain va évaporer la goutte, et le film se chargera en vapeur. L’enjeu est qu’il se charge en vapeur plus vite qu’il ne draine », souligne l’ingénieur.

On appelle ça une « antibulle thermique », et c’est précisément ce type d’antibulle que les scientifiques ont voulu générer en microgravité. L’intérêt de reproduire cette expérience en apesanteur ? Mieux appréhender le phénomène d’évaporation pure, et ainsi mieux comprendre les mécanismes de stabilité, sans l’interférence de la gravité.

En avril dernier, l’équipe du projet a ainsi participé aux vols paraboliques organisés deux fois par an par l’ESA, qui visent à recréer pendant une poignée de secondes l’état d’apesanteur.

Des antibulles à bord d’un Airbus ZERO-G

« Il y a eu 3 vols, 3 jours de suite. Concrètement, une fois que l’avion atteint les 5000 mètres d’altitude, il se cabre vers le haut en s’inclinant jusqu’à 50 degrés. Durant cette phase, on subit une force d’environ 2 G (NDLA : soit deux fois le poids du passager) : on est vraiment plaqué au sol. L’avion décrit ensuite une parabole où on est en apesanteur pendant 20 secondes. Lors de chaque vol, on réalise 30 paraboles, séparées de quelques minutes. A chaque fois, on a l’occasion de refaire l’expérience », explique le Pr Scheid, qui compte à son actif 270 paraboles.

C’est lors de la toute dernière parabole, à l’occasion du 2e vol, que les chercheurs ont réussi à produire les antibulles. « On a prouvé la faisabilité de l’expérience. » Et les chercheurs comptent réitérer l’expérience lors de la seconde campagne de l’ESA, en novembre prochain. « Pour l’heure, on réfléchit à la manière d’améliorer l’expérience en explorant l’espace des paramètres (varier la température, la taille de l’antibulle…). »

Bien que le chemin soit encore long avant de percer tous les mystères des antibulles, les scientifiques présagent des applications potentielles dans des secteurs stratégiques, tels que le traitement des eaux usées, ou la pharmaceutique, notamment dans l’encapsulation des médicaments.

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