L’Arctique est le théâtre d’un drame silencieux: le dégel du pergélisol. Ce sol gelé en permanence et qui borde sur plusieurs continents l’océan Arctique, est au cœur de la crise climatique. En se dégelant, il libère de grandes quantités de gaz à effet de serre, il déstabilise les sols, bouleverse les modes de vie des populations locales et réveille au passage des agents pathogènes préhistoriques…
« A l’Université libre de Bruxelles, nous avons participé à la rédaction d’un nouvel Atlas du pergélisol », souligne Sandra Arndt, professeure en géologie. Grâce à la collaboration de centaines de collègues, cet outil aide à comprendre et à prendre la mesure des effets dévastateurs du dégel du pergélisol, notamment sur les écosystèmes ».
Conséquences climatiques multiples
Le pergélisol désigne un sol qui reste gelé en permanence pendant au moins une période de deux années consécutives. Il est présent dans les régions polaires ou alpines où la température annuelle est très basse. Il couvre entre 14 et 16 millions de km². Une superficie gigantesque, si on la compare à celle de la Belgique, qui ne s’étend que sur 30.000 km².
Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) souligne l’importance critique du permafrost (l’autre nom du pergélisol) pour le climat mondial. Son dégel accru entraîne des changements irréversibles dans les écosystèmes arctiques, menaçant la vie et les moyens des populations locales.
« À mesure que le pergélisol fond, la matière organique qu’il contient commence à se décomposer. Ce qui entraîne la production et la libération de gaz à effet de serre. Vu la taille des zones concernées sur Terre, cela accélère encore un peu plus le réchauffement climatique. »
Des zones glacées en proie à la déstabilisation
« Le pergélisol, c’est de la glace située dans le sol. On ne la voit pas nécessairement directement », précise Sandra Arndt, qui est aussi professeure à l’Université de l’Arctique de Tromsø, en Norvège. « Quand elle fond, non seulement cela libère des quantités énormes d’eau (environ 150 milliards de tonnes d’eau sont ainsi libérées chaque année), mais cela déstabilise aussi les sols. »
« Le pergélisol ne façonne pas seulement le paysage et les côtes, il les maintient également ensemble. Il joue un rôle crucial dans la prévention de l’érosion.
À mesure que la température mondiale augmente et que le pergélisol dégèle, le sol, autrefois solide, devient instable. Les versants des collines peuvent s’effondrer et glisser vers le bas, les dépressions formées dans le terrain peuvent créer de nouveaux lacs, étangs et zones humides », indiquent les auteurs du nouvel atlas.
Découvertes paléontologiques
Il devient ainsi de plus en plus difficile de construire des structures stables et durables sur ces terrains. Les impacts économiques des dommages causés aux infrastructures dans les régions pergélisols de l’Arctique sont estimés à plus de 276 milliards de dollars au cours des 40 prochaines années, pointent-ils encore dans leur rapport.
Selon les experts, au cours des 50 dernières années, l’Arctique s’est réchauffé quatre fois plus vite que la moyenne mondiale. Les régions concernées par le pergélisol se sont réchauffées de 2 à 3 °C.
C’est bien connu, le malheur des uns fait le bonheur des autres. En effet, les paléontologues se réjouissent de cette fonte. En fondant, la glace libère des restes de mammouths et d’autres animaux préhistoriques. Conservés au frais pendant des millénaires, ces animaux disparus réapparaissent quasi complets, avec leur pelage et leurs os intacts. De quoi intéresser les spécialistes en la matière.
Retour à la vie d’agents pathogènes
Depuis la fin du XIXe siècle, les scientifiques savent que le pergélisol abrite des pathogènes, des micro-organismes causant des maladies, notamment des virus, des bactéries, des champignons, des parasites et, éventuellement, des prions.
« Avec le dégel, ces pathogènes se libèrent. Ils peuvent entrer en contact avec l’air et l’eau, ainsi qu’avec les animaux et les humains, créant ainsi des maladies infectieuses », pointe la Pre Sandra Arndt.
« De nombreux scientifiques demandent aujourd’hui que la paléomicrobiologie fasse l’objet d’une attention et d’une recherche accrues », pointent les auteurs de l’Atlas, « ceci afin de mieux comprendre, prévoir et planifier la résurgence d’infections anciennes ».
Ce nouvel Atlas du pergélisol arctique est un outil précieux à plus d’un titre. Il illustre les problèmes, montre leurs impacts. C’est aussi un outil de sensibilisation du grand public. « Cet atlas vise à illustrer comment le changement climatique entraîne de multiples crises simultanées », estime Sandra Arndt. « Le pergélisol nous semble être loin. En réalité, ce qui s’y passe nous concerne tous », conclut la scientifique.