Vivre autrement avec une douleur chronique

19 octobre 2017
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes

«Tout est normal, la prise de sang, les radios ne montrent rien»… En Belgique, 25% des adultes se plaignent d’une douleur durable indétectable.

 

Au Centre de la douleur chronique des Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, Anne Berquin et Jacques Grisart aident les patients à vivre autrement une souffrance qui persiste au-delà de 3 à 6 mois.

 

"La douleur ne me lâche pas", par Anne Berquin et Jacques Grisart, Editions Mardaga, VP 17,90 euros.
“La douleur ne me lâche pas”, par Anne Berquin et Jacques Grisart, Editions Mardaga, VP 17,90 euros.

La professeure à l’Université Catholique de Louvain (UCL) et le docteur en sciences psychologiques invitent les patients, leurs proches et les soignants, à repenser la souffrance en lisant «La douleur ne me lâche pas» aux éditions Mardaga  dans «Santé en Soi». Cette collection, dirigée par la médecin Karin Rondia, éclaire les grandes questions de santé et leurs enjeux de société.

 

«Si les examens classiques n’arrivent pas à saisir la réalité de la douleur, c’est parce que ces examens sont prévus pour photographier le système nerveux, mais beaucoup moins pour analyser son fonctionnement», expliquent les auteurs. «Heureusement, certains outils spécifiques et peu répandus, utilisés dans les laboratoires de recherche, permettent de mesurer les activités électriques et chimiques du système nerveux.»

 

Des chercheurs auscultent la douleur

 

«Les raisons pour lesquelles une douleur devient chronique ne sont pas toujours claires et souvent entremêlées. Parfois, on observe que, en même temps que la douleur, la personne est confrontée à des événements de vie qui l’ébranlent lourdement. Un licenciement, une maladie, une agression… Bon nombre de douleurs chroniques sont totalement ou partiellement liées à un dérèglement des mécanismes cérébraux de traitement de la douleur.»

 

À l’Institute Of NeuroScience de l’UCL, des chercheurs sondent les secrets de la perception de la douleur. L’équipe du Pr André Mouraux étudie le rôle de l’insula, une région du cerveau, pour moduler la douleur avec des techniques non invasives. Leur étude a été publiée dans le journal de neurosciences Cerebral Cortex.

 

Le chercheur qualifié du Fonds de la Recherche Scientifique Valéry Legrain se concentre sur les interactions entre la douleur et la vision des blessures. La chercheuse Patricia Lavand’homme utilise un nouveau prototype de monitoring (Nociceptive level index) pour analyser des influx qui atteignent le système nerveux central pendant une intervention chirurgicale. Et corréler les résultats avec l’intensité de la douleur aiguë postopératoire ainsi que le risque de développer des douleurs persistantes.

 

«Aujourd’hui, les retombées thérapeutiques des recherches ne sont pas encore à la hauteur des attentes», constate Anne Berquin. «Mais, on est de plus en plus efficace. On commence à mieux connaître les facteurs de risque. On applique ce que découvre la recherche. On outille les futurs médecins pour mieux prendre en charge la douleur. Il y a des préjugés. Comme une douleur chronique, c’est psychologique ou la douleur est proportionnelle à la gravité de la blessure…»

 

Les médicaments ont peu d’effet

 

Les médicaments et les traitements, conventionnels ou de médecine parallèle, n’ont qu’un effet limité sur la douleur chronique. Se remettre en mouvement. Être à l’écoute de son corps. Apprendre à ressentir à nouveau des sensations corporelles agréables. Comprendre ses émotions. Ne pas se laisser submerger par les ruminations. Être soutenu par des professionnels de la santé ou des proches. Accepter la souffrance. Telles sont les pistes recommandées par les auteurs. Explicitées dans leur livre.

 

«Accepter la douleur, c’est reconnaître que la douleur est là. Et se permettre, à certains moments, une attitude non combative à son égard. Cela implique qu’émerge mystérieusement en soi une posture mentale intérieure d’adhésion et paisible envers l’idée de ne pas s’opposer à ce qui échappe à notre pouvoir. Ce travail psychologique s’étend bien au-delà de la douleur. Car c’est aussi admettre que l’on est invalidé, qu’il n’est pas possible de savoir si on sera capable, demain, de faire ce que l’on avait prévu. Et c’est aussi admettre que les autres n’arrivent pas à comprendre cette réalité à laquelle ils n’ont qu’un accès très partiel.»

 

Écouter les patients

 

«Pour beaucoup d’autres problèmes de santé, la contribution du patient au diagnostic est bien moins importante. Il faut être capable d’arriver à rejoindre la personne dans ce qu’elle vit. De l’aider à aborder sa douleur autrement qu’avec des antalgiques dont l’efficacité n’est pas toujours à la hauteur des souhaits. Il faut pouvoir résister à la tentation, à la pression de prescrire, juste pour faire plaisir, quand on sait que ce n’est pas la meilleure réponse dans ces circonstances.»

 

Coincés dans un cadre légal et administratif, les thérapeutes ont du mal à construire un programme de soins de longue haleine avec les patients. «Tout cela demande du temps. Et ne peut s’imposer sous peine de n’aboutir à rien du tout. Le système des soins de santé aurait tout à gagner à repenser son organisation.»

 

 

 

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