Danseuse grimée de blanc et de noir pour célébrer el Día de Muertos (le jour des morts) © Larisa Viridiana Lara-Guerrero

Politique transnationale: l’art pour défendre les droits humains

19 octobre 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

Les violations des droits de l’homme sont communes au Mexique. La diaspora mexicaine, à Bruxelles et à Paris, n’a de cesse de les dénoncer, de façon inattendue. C’est par l’art que son engagement politique s’exprime. Une étude ethnographique de 4 années à Bruxelles et à Paris menée par Larisa Viridiana Lara-Guerrero, chercheuse au CEDEM (Centre d’études de l’ethnicité et des migrations) de l’ULiège, a mis en évidence ce procédé original.

« La diaspora ne se limite pas à des votes extraterritoriaux, mais s’engage également par la musique, la peinture, la danse, le théâtre, la broderie. La politique va au-delà des institutions, c’est un des résultats les plus intéressants de ma thèse. » Les photos illustrant le travail ethnographique de la chercheuse en sciences politiques et sociales sont à voir du 19 octobre au 19 novembre 2020, dans le Hall d’entrée de l’Université de Liège (place du XX août).

Chaussures de danse traditionnelles, préhispaniques. Elles font un bruit particulier, comme un hochet. L’artisanat mexicain est régulièrement utilisé lors des événements politiques © Larisa Viridiana Lara-Guerrero

Les arts comme vecteur de sensibilisation

Le public cible des démonstrations artistiques véhiculant un message politique, c’est à la fois la diaspora mexicaine elle-même et la population européenne qui n’est pas en contact direct avec la politique mexicaine. « Les arts sont une façon de les sensibiliser. A Bruxelles, les Mexicains utilisent beaucoup la musique car c’est très attractif. Ils reprennent des mélodies mexicaines traditionnelles, comme la « Bamba ». Bien qu’ils chantent en espagnol, ils glissent leurs revendications politiques en anglais. Une sorte de dialogue s’installe entre les artistes et leur public ce qui ouvre la discussion.»

« Mais la musique n’est pas leur seul moyen d’expression. Au Mont des arts à Bruxelles, par exemple, alors que des activistes mexicains dessinaient (légalement) des graffitis politiques, des passants interloqués les ont interrogés sur leur action. Le contact s’est établi facilement avec le public par ce biais et des échanges ont pu voir le jour. »

« Un des artistes mexicains que j’ai interviewé explique, en substance, qu’il préfère faire des mobilisations basées sur l’art, beaucoup plus attirantes, intéressantes et percutantes pour faire passer un message politique qu’une action classique de militantisme ».

« Parfois, il arrive que leur engagement artistique sur le sol européen soit relayé par les médias mexicains. Des villes comme Bruxelles et Paris ont une influence politique mondiale. C’est pourquoi, dans le cadre de mon étude ethnographique, je me suis concentrée sur ces deux villes. Le symbolisme politique, c’est important. »

Petite mais très dynamique

En Europe, la diaspora mexicaine n’est pas très nombreuse. Selon les chiffres de l’ONU, en Belgique, elle comprend 1064 personnes, et 12770 en France.

« Bien que petite, cette communauté est très active dans son engagement politique. En 4 ans, j’ai assisté à 55 événements mêlant art et activisme. Certaines périodes ont été assez intenses. »

Il y a eu les élections présidentielles mexicaines en 2018, qui ont vu la victoire de Andrés Manuel López Obrador. Mais aussi le tremblement de terre de septembre 2017 qui a tué 369 personnes dans l’État de Puebla. En 2014, lors d’une intervention policière, 43 étudiants enseignants de l’école normale d’Ayotzinapa, dans l’ouest du Mexique, ont étrangement disparu.

Sans oublier la violence qui règne au Mexique depuis 2006 et le début de la guerre de la drogue. Aussi appelée guerre des cartels, il s’agit d’un conflit armé, impliquant l’armée nationale, où les cartels de la drogue s’opposent au gouvernement mexicain.

Graffiti du chiffre 43, faisant référence aux 43 étudiants disparus en 2014 lors d’une intervention musclée de la police. Ils sont toujours introuvables à l’heure actuelle © Larisa Viridiana Lara-Guerrero

Ces femmes oubliées

Pour dénoncer ces conflits et leurs conséquences dévastatrices, à Paris, un groupe de femmes se retrouve, de temps à autre, dans un parc pour broder les noms des nombreux disparus. Et parler de politique. Entre elles, mais aussi avec les nombreux promeneurs qui viennent naturellement s’intéresser à ce qu’elles font. Et à leur cause politique.

« Un autre axe important de la recherche, c’est la mobilisation des femmes. Dans la littérature concernant la migration, l’accent est principalement mis sur la manière dont les hommes s’engagent politiquement, surtout aux Etats-Unis. J’ai voulu redonner aux femmes leur place dans la mobilisation politique transnationale. »

Broderies des noms de Mexicains disparus depuis le début de la guerre de la drogue en 2006, réalisées par des femmes à Paris  © Larisa Viridiana Lara-Guerrero.
Graffiti représentant Frida Khalo, la célèbre peintre mexicaine. Ses yeux bandés et sa bouche obstruée dénoncent la violence menée au Mexique contre les femmes, l’impunité mais aussi la répression envers les activistes. Leurs assassinats sont rappelés par le sang dégoulinant sur l’appareil photo © Larisa Viridiana Lara-Guerrero

Des liens nécessaires avec la population locale

Dans sa thèse, Larisa Viridiana Lara-Guerrero s’est aussi penchée sur le parcours migratoire de la diaspora mexicaine. La plupart de ces migrants sont nés au Mexique, y ont vécu avant d’arriver en Europe. Les différentes interactions avec les Européens connaissant les rouages, les codes ainsi que les us et coutumes ont permis aux migrants mexicains de se familiariser avec les habitudes et les lois de leur terre d’accueil, et ainsi de pouvoir se mobiliser en toute légalité et légitimité.

« A Paris, par exemple, les Mexicains ne savaient pas qu’il fallait un permis pour faire des démonstrations politiques artistiques sur la voie publique. C’est à partir des liens avec la population française qu’ils ont pu accéder à ce type de connaissances. L’interaction entre ces deux communautés était un autre point intéressant à analyser », conclut-elle.

Danseuse grimée de blanc et de noir pour célébrer el Día de Muertos (le jour des morts). Le 2 novembre, cette fête traditionnelle joyeuse est l’occasion d’honorer les personnes aimées qui sont décédées. Une table est dressée avec leur plat préféré, des fleurs et quelques photos d’eux. De la musique accompagne les danses et les convives partagent leur repas avec les morts © Larisa Viridiana Lara-Guerrero
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