« Les dinosaures n’ont vraiment pas eu de chance », estime le professeur Philippe Claeys, directeur de l’unité de recherche AMGC (Archaeology, Environmental Changes & Geo-Chemistry) de la Vrije Universiteit Brussel (VUB). Dans une étude internationale récente, lui et d’autres chercheurs révèlent que la météorite qui s’est écrasée il y a 66 millions d’années à Chicxulub (Mexique), mettant ainsi fin au règne des dinosaures, était un astéroïde venu du Système solaire externe. Soit la région située au-delà de l’orbite de Jupiter. « C’est peu commun. Il est même vraisemblable qu’une collision avec un objet arrivant d’aussi loin soit un événement très rare, si pas unique. »
Le mystère de l’origine de l’impacteur de Chicxulub
C’est seulement dans les années 1990 que le cratère de Chicxulub est localisé. Il est situé dans le golfe du Mexique, dissimulé sous des millions d’années de couches de sédiments et de végétation. Sa superficie est estimée entre 25 000 et 38 000 km² (à titre de comparaison, la Belgique présente une superficie de 30 000 km²), pour une profondeur d’environ 20-25 kilomètres.
« L’impact de la météorite responsable de ce cratère aurait dégagé une énergie équivalente à 5 milliards de fois la bombe qui frappa Hiroshima », fait savoir le Pr Claeys, qui étudie le cas de Chicxulub depuis près de 40 ans. Ce cataclysme aurait causé, selon la théorie aujourd’hui largement acceptée, la cinquième extinction de masse qu’a connue la Terre. Au cours de celle-ci, les trois-quarts des espèces végétales et animales ont disparu, y compris les dinosaures terrestres.
Depuis la découverte du cratère, une question taraude les scientifiques : « D’où provenait le projectile ? ». De la ceinture principale d’astéroïdes, circonscrite entre Mars et Jupiter ? Ou de plus loin encore ? Pour le déterminer, les scientifiques étudient les traces indélébiles laissées par la collision dans les couches géologiques de la Terre.
Sur la piste du ruthénium
Suite à la collision de l’astéroïde avec la planète, d’énormes quantités de roches (incluant le projectile lui-même) ont été pulvérisées et vaporisées autour du globe. Plus tard, ces particules de poussière sont retombées sur la surface terrestre. Elles sont observables dans les sous-sols, caractérisées par une mince couche d’argile aux concentrations élevées en ruthénium, rhodium, palladium, osmium, iridium et platine. « Ce sont des éléments très rares sur Terre. La majorité est aujourd’hui agglutinée dans le noyau terrestre. La manière la plus commune d’en retrouver à la surface est par le biais d’impacts de météorites. »
« Dans cette étude, nous avons collecté des échantillons de cette couche en s’intéressant particulièrement au ruthénium. De fait, il existe une différence très marquée dans le rapport isotopique du ruthénium entre les objets formés dans le Système solaire interne (du Soleil jusqu’à l’orbite de Jupiter), et ceux formés plus loin. Cela est dû à leur distance par rapport au Soleil », explique le Pr Claeys.
À titre de comparaison, les chercheurs ont aussi analysé la signature isotopique d’échantillons d’autres cratères d’impact et couches d’éjectas représentatifs des 500 derniers millions d’années, comme celui de Rochechouart (- 210 millions d’années, France), de Morokweng (-144 millions d’années, Afrique du Sud), ou encore de Popigaï (-36 millions d’années, Russie).
Conclusion ? L’impacteur de Chicxulub était un astéroïde de type C (carboné), formé au-delà de l’orbite de Jupiter. En revanche, les autres cratères étudiés sont caractéristiques d’astéroïdes de type S (pierreux), originaires du Système solaire interne, et vraisemblablement de la ceinture d’astéroïdes.
Compte tenu de ces résultats, on peut supposer que les grosses météorites susceptibles de percuter la Terre proviennent surtout de la ceinture d’astéroïdes. Une « bonne nouvelle », dans l’idée que « les très gros projectiles commencent à y disparaître. Cet endroit étant le théâtre de nombreuses collisions entre astéroïdes depuis 4,5 milliards d’années. Les projectiles venant de là sont donc potentiellement un peu moins dangereux, car plus petits », précise le Pr Claeys.
Le cas de Chicxulub montre néanmoins que la rencontre avec des objets du Système solaire externe est de l’ordre du possible. Même si un tel scénario semble exceptionnel. « Il faut se rendre compte que pour atteindre la Terre, cette météorite a dû traverser l’orbite de Neptune, d’Uranus, de Saturne et de Jupiter sans être capté par aucune de ces planètes géantes. Ce sont vraiment des circonstances spéciales. »
Des dinosaures condamnés d’avance
Le caractère atypique de cette météorite doit toutefois être confirmé. « L’analyse du rapport isotopique du ruthénium n’a été appliquée qu’à un nombre restreint de cratères d’impact dans cette étude. On compte continuer à investiguer et à déterminer si d’autres cratères ont été causés par des projectiles aussi exotiques. »
Le savoir servirait notamment à établir des modèles sur la fréquence et les types d’objets susceptibles de toucher la Terre. « Ceux issus du Système solaire externe sont excessivement dangereux, car ils sont très difficiles à détecter. Si les dinosaures avaient disposé d’une agence spatiale, comme l’ESA ou la NASA, ils auraient probablement repéré l’astéroïde de Chicxulub trop tard pour mettre en place une solution efficace pour le dévier. »
Les humains l’ont eux-mêmes constaté avec la comète Shoemaker-Levy, aussi originaire d’une région extérieure à la ceinture d’astéroïdes, dont les 21 fragments se sont écrasés sur Jupiter en 1994. « Sa découverte fortuite en 1993, quelques mois avant son impact sur Jupiter, était une grosse surprise. »
Cet événement a conduit à une prise de conscience politique concernant les risques liés à une chute de corps céleste sur la Terre. Depuis, plusieurs programmes de défense planétaires ont été lancés, incluant la détection et le suivi d’objets susceptibles de s’approcher de notre planète.