Les révolutionnaires aiment Bruxelles

20 janvier 2017
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
«Le Bruxelles des révolutionnaires de 1830 à nos jours» par Anne Morelli. Editions CFC - VP 40 €
«Le Bruxelles des révolutionnaires de 1830 à nos jours» par Anne Morelli. Editions CFC – VP 40 €

Bruxelles n’a pas attendu d’être la capitale de l’Europe pour voir défiler des contestataires. L’historienne Anne Morelli s’est entourée de chercheurs pour les présenter dans «Le Bruxelles des révolutionnaires de 1830 à nos jours» paru aux éditions CFC . L’ouvrage abondamment illustré constitue en grande partie l’aboutissement de travaux communiqués lors d’un colloque soutenu par le Fonds de la Recherche Scientifique FRS-FNRS, la Région de Bruxelles-Capitale et l’Université Libre de Bruxelles (ULB).

L’écrivain français Victor Hugo se réfugie à Bruxelles. Le proscrit allemand Karl Marx invente le slogan «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous» quand il réside dans la capitale. Le militant français Maurice Thorez, les anarchistes espagnols Francisco Ascaso et Buenaventura Durruti vivent aussi une expérience bruxelloise. Des révolutionnaires latino-américains s’installent à Bruxelles après le coup d’État de 1973 au Chili…

«Les révolutionnaires à Bruxelles peuvent apparaître comme étant uniquement des étrangers de passage», note la professeure à la Faculté de philosophie et sciences sociales de l’ULB. «Mais si les révolutionnaires belges de souche sont effectivement peu nombreux, il faut relever que ce sont bien eux qui, souvent dans l’ombre, offrent aux étrangers un appui logistique indispensable, un soutien politique et une base efficace à Bruxelles

La contestation ouvrière couve à la Grand-Place

Comme aujourd’hui, la Grand-Place est au XIXe siècle un lieu de rencontre, de rassemblement. Les ouvriers la fréquentent assidûment.

«Démographiquement, la Grand-Place est une place ouvrière», souligne le professeur émérite Jean Puissant, président du comité scientifique de la Fonderie, musée des industries et du travail à Bruxelles.
«Les associations ouvrières adoptent un lieu de réunion en fonction de la qualité ou du prix de la bière servie, des relations avec le tenancier ou de leurs moyens. La police n’a qu’à fréquenter les estaminets de la Grand-Place et ses abords pour savoir ce qui agite le milieu ouvrier

À la fin du siècle, la Grand-Place perd progressivement son rôle de catalyseur spatial de sociabilité. De lieu de contestation ouvrière.

«Les deux plaques apposées sur la façade du Cygne rappelant la présence de Marx à Bruxelles et la fondation du Parti Ouvrier Belge apparaîtront sans doute aujourd’hui comme étonnantes, même incongrues, aux yeux de nombreux visiteurs admirant la plus belle place du monde. L’ample manifestation pacifiste à l’issue du meeting du Cirque Royal, où le député socialiste français Jean Jaurès prononça, le 29 juillet 1914, son ultime grand discours contre la guerre rappelle que lors d’événements graves ou joyeux, la Grand-Place a su malgré tout conserver son pouvoir d’attraction collective.»

La police fiche les révolutionnaires

Les archives communales attestent le passage des révolutionnaires. Tous les documents de plus de 100 ans sont librement consultables.

«Les sources publiques permettent non seulement de retrouver la trace de révolutionnaires, les quartiers et les lieux qu’ils fréquentaient, les maisons qu’ils habitaient, mais aussi de mesurer l’importance de l’appareil de contrôle mis en place par les autorités locales», explique Jean Houssiau, historien au Service des archives de la Ville de Bruxelles.

«Pour pister les révolutionnaires et principalement identifier leurs lieux de réunion ou de refuge, le fonds du bureau des étrangers est fort instructif. Les étrangers sont les bienvenus à Bruxelles, mais on les garde à l’œil, surtout les réfugiés politiques: la tolérance aux idées nouvelles a ses limites

Le cas de Karl Marx est représentatif. Le Service des archives conserve le dossier n°358 concernant la fiche de son signalement: professeur de philosophie, yeux très myopes, parlant bien l’anglais mais avec un accent allemand, membre de l’Internationale. Il garde aussi des dossiers de Belges dont les opinions politiques étaient jugées dangereuses. Le socialiste Émile Vandervelde a un dossier contenant des plaquettes de ses écrits. On trouve un dossier au nom d’Isabelle Gatti de Gamond qui a ouvert, en 1864, au centre-ville, la première école laïque pour filles en Belgique. Avec l’appui financier de la Ville de Bruxelles et de la franc-maçonnerie.

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